Les mauvais comptes de l'Etat sur la vente d'Alstom à Siemens - Market Blog
02 Octobre 2017 - 11:05AM
Dow Jones News
Par Olivier Pinaud
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Une fusion "bonne pour l'emploi, bonne
pour l'industrie, bonne pour la France". En déplacement vendredi
sur le site d'Alstom (ALO.FR) de Petite-Forêt dans le Nord, Bruno
Le Maire, le ministre de l'Economie, s'est une nouvelle fois
félicité des vertus du mariage entre le groupe français et la
division ferroviaire de Siemens (SIE.XE). Pourtant, au moment où le
gouvernement s'attend à un déficit budgétaire de 82,9 milliards
d'euros pour 2018, cette opération s'annonce moins bonne pour les
finances publiques. En renonçant à exercer auprès de Bouygues
(EN.FR) les options dont il dispose jusqu'au 17 octobre 2017 pour
conforter sa présence au capital d'Alstom, l'Etat se prive de
plusieurs centaines de millions d'euros de recettes potentielles,
selon les estimations de L'Agefi.
L'exercice de ces options serait évidemment pénalisant dans un
premier temps pour les finances publiques. La première, qui expire
le 5 octobre, coûterait 1,5 milliard d'euros. Elle donne droit à
20% du capital, payé 35 euros par action Alstom. La deuxième,
ouverte entre les 6 et 17 octobre, permet d'acquérir 15% du capital
d'Alstom auprès de Bouygues, à une moyenne du cours de Bourse sur
les deux derniers mois décotée de 2%, soit 880 millions d'euros
total.
Mais, une fois actionnaire, en plus de disposer d'un droit de
regard puissant sur l'avancement de la fusion et les engagements
sociaux, l'Etat pourrait pleinement profiter de la création de
valeur promise par les deux partenaires. D'une part, les dividendes
annoncés pour 2018 - 4 euros avec certitude plus jusqu'à 4 euros
supplémentaires - feraient tomber sans risque entre 262 et 350
millions d'euros dans les caisses de l'Etat selon qu'il soit
détenteur de 15% ou de 20% du capital d'Alstom. Cela réduirait
instantanément le coût de l'acquisition des actions auprès de
Bouygues.
D'autre part, en s'installant au capital d'Alstom, l'Etat
bénéficierait à moyen terme de la création de valeur qui doit
résulter du rapprochement avec Siemens Mobility. Les deux
partenaires se disent capables de dégager 470 millions d'euros de
synergies annuelles quatre ans après la finalisation de la fusion,
soit une valeur nette actualisée de 4,7 milliards d'euros, calcule
Barclays. Un gain reflété dans la moyenne des objectifs de cours de
six courtiers (Barclays, Deutsche Bank, Exane BNP Paribas, Kepler
Cheuvreux, UBS, Société Générale) pour l'action Alstom : 38 euros,
contre 30 euros avant les premières rumeurs de mariage.
Ces dividendes et la plus-value potentielle iront donc
prioritairement chez Bouygues, conseillé pour l'opération Siemens
Alstom par David Azéma, associé chez Perella Weinberg, et ancien
directeur général de l'Agence des participations de l'Etat (APE),
notamment au moment de la négociation en 2014 de l'accord entre
l'APE et Bouygues sur les options Alstom. Les dividendes
rapporteront un peu moins de 500 millions d'euros à Bouygues. En
outre, dans ses comptes, la valeur nette comptable d'Alstom est de
32,50 euros par action au 30 juin 2017. En prenant l'objectif moyen
de cours de Bourse des analystes de 38 euros, Bouygues empocherait
ainsi une plus-value de 341 millions d'euros rien que sur la
revente des 20% du capital d'Alstom auxquels peut prétendre l'Etat.
Alstom est conseillé par Rothschild, Siemens par BNP Paribas.
"Ce raisonnement ne tient pas. Si l'Etat avait voulu rester au
capital, rien ne dit qu'un accord eut été trouvé avec Siemens. Dans
ce cas, il n'y a donc aucune création de valeur", balaie une source
impliquée dans la fusion. Et même en supposant que cela soit
envisageable, "Siemens aurait demandé à l'Etat les mêmes exigences
qu'à Bouygues, à savoir de conserver ses actions au moins jusqu'à
la tenue de l'assemblée générale extraordinaire de juillet 2018, ce
qui l'aurait exposé à un risque de marché important", appuie cette
source. Or, "le rôle de l'Etat n'est pas d'immobiliser 1,5 milliard
d'euros pour spéculer ! Le gain potentiel peut aussi se transformer
en perte". L'Etat s'est d'ailleurs brûlé les doigts récemment : les
4,7% du capital de Renault achetés en 2015 pour renforcer son
influence n'ont toujours pas été revendus au risque de subir une
moins-value.
D'autres observateurs font remarquer qu'un accord aurait pu être
envisagé avec Bouygues et Siemens, permettant à l'Etat d'acquérir
la propriété des actions Alstom tout en laissant les droits de vote
à Bouygues. "Ce schéma est légal : l'Etat s'en est lui-même servi
dans le cadre des options avec Bouygues, en ne prenant que les
droits de vote sur les 20% d'Alstom et en laissant la composante
patrimoniale à Bouygues", indique une source. L'Etat aurait
également pu négocier un accord de contrepartie avec Bouygues
prévoyant une rétrocession de la plus-value au moment de la revente
des actions Alstom.
-Olivier Pinaud, L'Agefi. ed: ECH
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