Exxon et Chevron n'ont pas la fibre verte des majors européennes - Plus Inter
30 Septembre 2021 - 1:36PM
Dow Jones News
Jinjoo Lee,
The Wall Street Journal
NEW YORK (Agefi-Dow Jones)--Le processus de transition énergétique
amorcé par les compagnies pétrolières les entraîne sur un terrain
particulièrement glissant. Une transition trop rapide vers les
énergies propres risque de faire chuter les valorisations en
faisant craindre une baisse des futurs rendements. Des initiatives
trop prudentes risquent en revanche d'ouvrir la porte aux
investisseurs activistes, qui exigeraient alors un remaniement des
conseils d'administration - comme Exxon Mobil en a fait
l'expérience.
Les majors européennes comme BP, TotalEnergies et Royal Dutch Shell
ont toutes choisi d'emprunter la voie express et se sont engagées à
allouer une part plus importante de leurs budgets à des énergies
renouvelables qui génèrent pour l'heure des rendements plutôt
mitigés. Leurs valorisations ont fondu en conséquence, mais les
investisseurs les ont peut-être, eux aussi, jugées trop
rapidement.
Les titres des majors pétrolières américaines s'échangent avec une
surcote d'environ 58% par rapport à leurs concurrentes européennes,
sur la base d'un multiple des résultats attendus sur les 12
prochains mois. Ces dernières ont toujours affiché des
valorisations inférieures à celles des compagnies américaines, mais
l'écart s'est encore creusé. Voilà dix ans, cette prime n'était que
de 24%.
Des investissements plus restreints dans l'hydrogène et le CO2
D'où vient la longueur d'avance d'Exxon Mobil et Chevron ? Les
majors américaines ont annoncé des investissements plus restreints
dans les nouvelles technologies spéculatives comme l'hydrogène et
le captage du CO2, tout en évitant soigneusement le solaire et
l'éolien en raison de la faiblesse des rendements attendus. Les
montants qu'elles promettent d'engager sont dérisoires comparé aux
groupes européens, mais suffisants toutefois pour étouffer les
pressions activistes - du moins pour le moment. Chevron a indiqué
au début septembre qu'il prévoyait de consacrer aux nouvelles
technologies 10 milliards de dollars d'ici à 2028, tandis qu'Exxon
Mobil a provisionné à cette fin 3 milliards de dollars jusqu'en
2025.
Les compagnies américaines ont chacune promis de consacrer moins de
5% de leurs dépenses d'investissements de 2021 aux investissements
à faibles émissions carbone tandis que Royal Dutch Shell, BP et
TotalEnergies en consacrent chacun 10% au moins, selon une analyse
de Raymond James.
Miser sur les unes ou les autres dépend du niveau de risque accepté
par les investisseurs. Investir dans BP, Shell ou TotalEnergies
porte la promesse de rendements certes plus faibles, mais plus
prévisibles. Lightsource BP, la branche de développement
renouvelable de BP, souligne que ses projets d'énergie renouvelable
génèrent systématiquement des rendements de 8% à 10%. Les
compagnies gazières et pétrolières visent des rendements plus
élevés, de l'ordre de 10% à 15%.
Mine d'or ou véritable gouffre financier
Les technologies dans lesquelles investissent Exxon et Chevron -
hydrogène, captage du CO2 et carburants renouvelables - pourraient
devenir une vraie mine d'or... ou bien un véritable gouffre
financier. Dans une note de recherche, Biraj Borkhataria et Erwan
Kerouredan, analystes chez RBC, préviennent que l'hydrogène et le
captage de CO2 "nécessiteront un plus grand degré d'aide
gouvernementale et de collaboration avec d'autres secteurs, y
compris les utilisateurs finaux, ce qui les rend difficile à
évaluer de façon méthodique et rationnelle".
Pour que la stratégie d'Exxon et Chevron s'impose, il faut qu'un
certain nombre d'hypothèses se concrétisent. Il faudrait par
exemple que l'une des ambitieuses technologies dans lesquelles les
deux groupes investissent opère une véritable percée. C'est tout à
fait possible, mais il est tout aussi possible que les deux géants
pétroliers doivent finalement investir des montants supplémentaires
bien plus importants pour voir des résultats tangibles, le cas
échéant.
Si les laboratoires de biotechnologies sont richement valorisés,
c'est précisément pour ces promesses de découvertes décisives, mais
ils consacrent une part bien plus massive de leur chiffre
d'affaires aux activités de recherche et développement pour
maximiser leurs chances. Gilead a investi l'an dernier en R&D
près de 20% de son chiffre d'affaires. En comparaison, Exxon et
Chevron auront consacré cette année aux nouvelles technologies un
pourcentage total de 0,2% de leurs revenus, au maximum.
Selon un point de vue relativement cynique, Exxon et Chevron
pourraient bénéficier d'une surveillance assez laxiste de leurs
projets environnementaux par rapport à leurs concurrents européens,
ce qui devrait leur permettre de s'arroger avec le temps certaines
de leurs parts de marché. Le pari semble toutefois assez risqué
compte tenu des victoires remportées cette année par les
investisseurs activistes.
L'attrait de futures scissions
Dans ce contexte, le marché a peut-être été un peu vite en besogne
en dédaignant les plans des majors européennes. Dans un monde où
l'électrification est inexorablement appelée à jouer un rôle de
plus en plus important, il ne peut qu'être avantageux de
s'aventurer dès maintenant sur le terrain du solaire et de
l'éolien. Et, surtout, les entreprises européennes dotées de
filiales d'énergies renouvelables auront ultérieurement la
possibilité de les scinder avec des multiples plus attrayants.
"Ce qui apparaît clairement sur le marché aujourd'hui, c'est que
les investisseurs sont prêts à attribuer des valorisations bien
plus élevées [pour des actifs à faible émission carbone] que pour
des investissements dans les hydrocarbures", selon la note de
recherche de RBC. "Si cet écart de valorisation se poursuit, les
majors pourraient clairement envisager de scinder leurs segments à
faibles émissions carbone de façon à cristalliser une partie de la
'valeur' créée".
Pour le moment, les groupes européens excellent également sur un
paramètre auquel tout investisseur du secteur pétrolier - intéressé
ou non par les questions climatiques -- attache de l'importance :
le potentiel de création de liquidités. En pourcentage de leur
capitalisation boursière, les majors européennes affichent pour
2022 un flux de trésorerie disponible attendu supérieur à celui
d'Exxon et Chevron, selon FactSet.
Sur un marché qui privilégie le potentiel de croissance par rapport
à d'autres paramètres, la préférence des investisseurs pour Exxon
et Chevron est compréhensible. Mais à mesure que les arguments en
faveur de l'action climatique se multiplient à travers le monde,
les vents favorables dont bénéficient actuellement les deux géants
américains pourraient changer de direction à tout moment.
-Jinjoo Lee, The Wall Street Journal
(Version française Emilie Palvadeau) ed : ECH
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September 30, 2021 07:16 ET (11:16 GMT)
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