Dimitri Delmond,



Agefi-Dow Jones



PARIS (Agefi-Dow Jones)--L'annonce du départ d'Eutelsat de la C-Band Alliance (CBA) n'a pas résonné jusque dans l'espace. Mais elle a fait suffisamment de bruit sur Terre pour provoquer d'importants dégagements sur les actions de grands opérateurs satellitaires au premier rang desquels le luxembourgeois SES, également membre de l'indice SBF 120.



Le 3 septembre, SES a perdu 3,6% à la Bourse de Paris, non sans avoir abandonné jusqu'à 8% en séance. Le même jour, le titre Eutelsat a cédé à peine 0,5%, après que l'opérateur a informé qu'il quittait une alliance toujours considérée par son directeur général, Rodolphe Belmer, comme étant la mieux placée pour défendre ses intérêts. Les investisseurs auraient-ils mal interprété la portée de cette annonce, en sanctionnant SES plus lourdement qu'Eutelsat ? Non.



Pour expliquer ce qui s'apparente à un paradoxe, il convient de s'attarder sur les modalités du déploiement du réseau mobile de cinquième génération (5G) aux Etats-Unis. Pas parce que l'avènement de cette technologie revêt un enjeu crucial, puisque devant ajouter 2.700 milliards de dollars au produit intérieur brut du pays d'ici 2030, selon l'économiste Michael Mandel. Mais parce que les opérateurs satellitaires ont un rôle majeur à jouer dans son arrivée aux Etats-Unis.



Les pouvoirs publics américains et notamment la FCC (Federal Communications Commission), le gendarme des télécoms et des médias, sont à la recherche de fréquences disponibles pour préparer au mieux la construction du réseau 5G. Il se trouve que le spectre électromagnétique idoine est celui de la bande C, dont les fréquences en réception sont comprises entre 3,7 et 4,2 gigahertz (Ghz).



Problème, ce spectre d'une largeur de 500 mégahertz est actuellement utilisé par les opérateurs de satellites pour assurer des retransmissions télévisuelles. C'est ainsi que les opérateurs satellitaires utilisant l'intégralité de ces fréquences ont fondé il y a tout juste un an la CBA, dans le but d'unir leurs forces pour négocier d'une seule voix les conditions de la libération d'une partie du spectre de la bande C au profit de la future 5G.



En échange de la libération de 200 megahertz de fréquences à l'intérieur de ce spectre, ils comptent être généreusement indemnisés par les opérateurs télécoms, au titre de leurs investissements passés et des opérations qui seront effectuées pour libérer les fréquences. Aussi, la CBA propose de négocier directement auprès des opérateurs télécoms le montant des indemnités à venir, suggérant à la FCC de respecter une logique de marché.



Un pactole de 15 milliards d'euros à se partager



Orpheline d'Eutelsat, la CBA est désormais constituée des trois opérateurs satellitaires suivants: les luxembourgeois Intelsat et SES ainsi que le canadien Telesat. Parmi ces membres, SES et Intelsat représenteraient quelque 45% chacun des capacités de la bande C aux Etats-Unis selon la méthodologie retenue par l'alliance, contre une portion d'environ 5% pour Telesat. La part de la bande C attribuable à Eutelsat est également évaluée autour de 5%. Ainsi, les quatre groupes devraient se partager les indemnités à venir en fonction de leur poids respectif dans la bande C.



Selon les estimations de Morgan Stanley et le scenario moyen de Société Générale, ces indemnités pourraient avoisiner 15 milliards d'euros pour l'ensemble des parties prenantes. Les acteurs les moins actifs sur la bande C, Telesat et Eutelsat, pourraient recevoir entre 400 et 800 millions d'euros chacun de la part des opérateurs télécoms, contre un pactole évalué 7 milliards d'euros pour Intelsat, comme pour SES. Il devient alors aisé de comprendre la plus forte sensibilité de l'action SES par rapport à celle d'Eutelsat pour tout ce qui a trait à la bande C et à la CBA.



Malheureusement pour SES, le ciel pourrait s'assombrir au-dessus de l'alliance. De l'avis d'Ernesto Bisagno, analyste chez Moody's, "la décision d'Eutelsat, de se retirer de la CBA, pourrait retarder la vente de certaines fréquences de la bande C aux Etats-Unis".



JPMorgan Cazenove est sur la même longue d'onde, n'attendant désormais pas d'avancées majeure concernant la monétisation de la bande C lors de la prochaine réunion mensuelle de la FCC, prévue le 26 septembre prochain. Il faudra au moins patienter jusqu'à sa réunion du 25 octobre ou à celle du 19 novembre pour espérer une accélération du processus, selon la banque d'affaires américaine. Contacté par l'agence Agefi-Dow Jones, un porte-parole de la CBA basée à Washington assure toutefois que le départ d'Eutelsat ne ralentit aucunement le travail de l'alliance.



Quoiqu'il en soit, Moody's ajoute que cet évènement inattendu "réduit le montant maximum de l'indemnisation que pourraient retirer les opérateurs de satellites de la réallocation des fréquences de la bande C", au grand dam d'Intelsat et de SES, qui représentent à eux deux environ 90% du spectre concerné. Sans surprise, la CBA réfute également cette idée.



Le départ du directeur financier interpelle



Les raisons du départ d'Eutelsat jettent le trouble tant sur le bon fonctionnement que sur l'avenir de la CBA. Selon nos informations, Eutelsat a claqué la porte de l'alliance en raison des divergences qui l'agitaient sur de nombreux sujets dont la gouvernance ou la méthode de calcul de la propriété de la bande C et donc sur le partage des indemnités à venir. Les membres de la CBA ne parviennent pas non plus à s'entendre sur la part de cette manne financière qu'il conviendra de soumettre à la fiscalité américaine.



Dans ce contexte, JPMorgan ose même se demander si la démission d'Andrew Browne, directeur financier de SES, annoncée la semaine dernière, n'est pas le signe que le processus de vente des fréquences n'avance pas aussi vite que prévu... Chez SES, on se résout à rappeler, comme le précise le communiqué du 2 septembre, qu'Andrew Browne va quitter le groupe le mois prochain "pour des raisons personnelles et familiales".



Selon un analyste basé à Londres, Eutelsat aurait aussi prévenu les investisseurs du risque d'incidents techniques lors de la réutilisation d'une partie de la bande C pour la 5G si tous les opérateurs concernés n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur les modalités de cette migration. Justement, le départ d'Eutelsat est "un très mauvais signal pour la CBA car il met en lumière de profonds désaccords en interne et désormais il n'y a plus de front commun pour négocier avec la FCC et les opérateurs", précise cet analyste.



Même si l'action SES vient de décoller de 7,2% au cours des cinq dernières séances, la valeur perd encore 47% sur cinq ans et évolue sous les 16 euros depuis plus de six mois. Et ce ne sont pas les résultats à venir qui soutiendront la valorisation, les analystes n'anticipant pas de renforcement significatifs des profits. Pour 2018, le ratio valeur d'entreprises sur excédent brut d'exploitation s'élevait à 10, mais ce multiple ne devrait pas descendre en dessous de 9 avant 2022. Le titre SES pourrait ainsi avoir du mal à s'extirper de son orbite basse tant que les nuages planant au-dessus de l'alliance ne se seront pas dissipés.



La valeur pourrait même perdre de la hauteur en cas de nouvel imprévu. Certains analystes n'excluent pas la possibilité de voir Telesat, dont la voix compte peu face à celles d'Intelsat et de SES, imiter Eutelsat et quitter l'alliance. L'entreprise n'a pas répondu aux sollicitations de l'agence Agefi-Dow Jones et n'a pas commenté ces spéculations.



-Dimitri Delmond, Agefi-Dow Jones; +33 (0)1 41 27 47 31; ddelmond@agefi.fr ed: ECH



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(END) Dow Jones Newswires



September 16, 2019 06:06 ET (10:06 GMT)




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