Rochelle Toplensky,



The Wall Street Journal



LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Si les données numériques sont le nouvel or noir, le pétrole pourrait quant à lui connaître le sort du tabac.



Comme les cigarettiers avant eux, les producteurs de pétrole se trouvent confrontés à une lame de fond encouragée par les pouvoirs publics et visant à faire sensiblement baisser la demande pour leurs produits. Partout dans le monde, les gouvernements s'engagent à décarboner les transports et l'économie en général dans l'optique de freiner le changement climatique.



Voitures, poids lourds, trains, avions et bateaux sont à l'origine d'un tiers environ des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Jusqu'à récemment, leurs fournisseurs de carburant s'efforçaient surtout de trouver les moyens de produire davantage. Or la grande question qui se pose actuellement consiste plutôt à savoir quand la demande atteindra son pic, et non quand les ressources de pétrole arriveront à épuisement.



Les majors pétrolières semblent aborder cette question sous deux angles. Certaines, comme Royal Dutch Shell et Total, cherchent des solutions pour se transformer en producteurs d'énergie à faibles émissions de carbone. D'autres, comme Exxon Mobil, préfèrent s'en tenir à leur spécialité : l'extraction pétrolière.



La route vers la décarbonisation sera longue



Les deux approches se défendent. La tendance est clairement à la décarbonisation, mais rien ne garantit que la révolution climatique sera menée à son terme. Pour que le monde change, responsables politiques, industriels et consommateurs devront faire des choix difficiles. Il faudra mettre des centaines de milliards de dollars sur la table pour transformer les véhicules, les stations-service, la production, les réseaux et le stockage d'électricité, de même que pour rééquiper les sites de production et former les salariés du secteur des énergies fossiles aux nouvelles sources d'énergie. La transition s'annonce particulièrement ardue pour le secteur aéronautique.



Le scénario de développement durable élaboré par l'Agence internationale de l'Energie (AIE) prévoit un pic de la demande de brut en 2020, à 97 millions de barils par jour, et une réduction de la demande à 73% des niveaux constatés en 2017 d'ici à 2040. Un autre scénario, moins ambitieux, prévoit en revanche un pic de la demande d'or noir en 2040, à 106 millions de barils par jour, ce qui représente une hausse de 12% par rapport aux niveaux de 2017. Les deux scénarios, ainsi que beaucoup d'autres, sont plausibles.



Les prévisions mondiales doivent tenir compte d'importantes disparités régionales. La croissance démographique et l'augmentation de la prospérité en Afrique et en Asie se traduiront par une hausse des émissions. L'Europe s'est pour sa part engagée à les réduire drastiquement, tandis que les Etats-Unis ont de leur côté officialisé leur retrait de l'Accord de Paris et relancé l'industrie du charbon, même si certains Etats et certaines villes ont promis de réduire leurs émissions.



Ces divergences rendent les prédictions difficiles, mais c'est un facteur dont les majors pétrolières ont l'habitude. Depuis des décennies, elles construisent des projets complexes et onéreux tout en jonglant avec une mosaïque changeante d'exigences réglementaires et politiques. Leurs activités couvrent désormais une palette qui va de la découverte de nouvelles réserves pétrolières à la vente de café, en passant par les stations de lavage de voitures. La plupart de ces entreprises disposent en outre de solides bilans et cash-flows, assainis par un retour à une rigoureuse maîtrise des coûts, qui leur assurent une trésorerie suffisante pour investir.



Des expérimentations peu récompensées



Le développement de projets expérimentaux à faibles émissions de carbone permet aux grandes compagnies pétrolières d'acquérir de nouvelles compétences et d'influer sur la future évolution des marchés et de la réglementation. Dans le type de réseau énergétique intelligent et connecté qui semble à même de pouvoir étancher la soif mondiale de pétrole, les liens avec le consommateur final seront de plus en plus importants. Certains investissements dans ces projets se feront à perte, mais c'est aussi le cas lorsque les forages d'exploration tombent sur des puits secs. Les actionnaires, eux, doivent surveiller en priorité toutes les mesures annonciatrices d'un développement plus poussé de ces projets.



Pour l'heure, les investisseurs ne semblent pas prêts à récompenser les majors pétrolières pour ce genre d'expériences. Les actions Shell et Total présentent une décote par rapport leurs concurrentes américaines.



Cette réaction peut sembler rationnelle à court et même à long terme : les fabricants de cigarettes ont prouvé qu'il était possible d'accroître ses bénéfices dans un marché en baisse. Reste que le précédent offert par Big Tobacco, qui a perdu une bonne partie de sa valorisation boursière au cours des deux dernières années sous l'effet d'une nouvelle vague réglementaire aux Etats-Unis, montre également à quelle vitesse les investisseurs peuvent retourner leur veste en cas de durcissement de la réglementation.



Même si les investisseurs ne le réalisent pas encore, les compagnies pétrolières qui prennent au sérieux les objectifs mondiaux de décarbonisation ont peut-être trouvé la clé de leur survie.



-Rochelle Toplensky, The Wall Street Journal



(Version française Emilie Palvadeau) ed: VLV - ECH



Agefi-Dow Jones The financial newswire



(END) Dow Jones Newswires



January 06, 2020 03:03 ET (08:03 GMT)




Copyright (c) 2020 L'AGEFI SA
TOTAL (NYSE:TOT)
Graphique Historique de l'Action
De Mar 2024 à Avr 2024 Plus de graphiques de la Bourse TOTAL
TOTAL (NYSE:TOT)
Graphique Historique de l'Action
De Avr 2023 à Avr 2024 Plus de graphiques de la Bourse TOTAL