Stu Woo, John D. McKinnon, Sebastian Herrera et Ben Foldy,
The Wall Street Journal
WASHINGTON (Agefi-Dow Jones)--Après une année de croissance
prodigieuse, 2021 pourrait s'annoncer plus délicate pour le secteur
technologique.
En 2020, la pandémie a permis aux géants de la tech comme Amazon et
Microsoft d'atteindre de nouveaux sommets. Le recours au shopping
en ligne et au travail à distance a accéléré à une vitesse qui
aurait été inconcevable en l'absence du coronavirus.
Mais les Big Tech pourraient à présent connaître des temps plus
difficiles. Fin 2020, les autorités américaines, chinoises et
européennes ont lancé séparément des enquêtes pour déterminer si la
taille de ces géants n'était pas devenue problématique. Aux
Etats-Unis, ces investigations devraient continuer sous la
présidence de Joe Biden, laquelle semble également encline à
maintenir les restrictions aux exportations chinoises qui modifient
le profil des chaînes d'approvisionnement mondiales.
Si les Big Tech risquent ainsi d'être confrontées à des difficultés
inédites depuis des années, 2021 pourrait également apporter son
lot d'opportunités. Le monde pourrait enfin entrer dans l'ère de la
voiture électrique. Le président élu, Joe Biden, s'est engagé à
faire de la cybersécurité une priorité. Et Washington instaurera
des incitations financières en vue d'aider les entreprises
américaines à garder une longueur d'avance sur leurs concurrentes
chinoises.
Voici les principaux enjeux de 2021 pour le secteur
technologique.
La réglementation
La plus grande source d'inquiétude en la matière pour les Big Tech
reste la menace de poursuites pour pratiques anticoncurrentielles.
Mais les démocrates, forts de leur pouvoir nouvellement acquis sur
le Congrès, souhaiteront sans doute aussi un durcissement
législatif.
Pour Google et Facebook, la menace est déjà bien réelle. Le
département de la Justice, la Commission fédérale du commerce (FTC)
ainsi que les procureurs généraux de certains Etats ont lancé coup
sur coup à leur encontre cinq actions en justice en fin d'année
dernière.
Pour ces entreprises, toute la question sera de savoir si
l'administration Biden décidera d'élargir les procédures fédérales,
de simplement les poursuivre, ou de chercher un accord. Google
comme Facebook semblent désireuses d'en finir avec ces affaires.
Chacune des deux entreprises nie toute mauvaise conduite.
Mais l'accumulation de poursuites du même ordre entamées par des
plaignants privés complique encore la situation.
Pour Amazon et Apple, le risque est de voir des enquêtes
préliminaires ouvertes par les autorités réglementaires fédérales
conduire à de nouvelles poursuites.
Au-delà des actions d'ordre judiciaire, les entreprises
technologiques peuvent craindre une offensive du Congrès en faveur
d'un durcissement des lois antitrust existantes. Dans
l'interprétation qu'en donne la jurisprudence, les règles actuelles
ciblent avant tout l'impact des pratiques des entreprises sur les
prix à la consommation. Leur mise en œuvre peut être épineuse dans
le cas de moteurs de recherche ou réseaux sociaux essentiellement
gratuits.
Après la fin tumultueuse de la présidence Trump, les démocrates
pourraient vouloir faire usage de leur nouveau pouvoir au Congrès
pour pousser des entreprises comme Facebook ou Twitter à réprimer
davantage la désinformation et les discours haineux. Certains
d'entre eux se sont exprimés en ce sens après l'attaque du
Capitole, même si aucun n'a pour l'instant avancé de proposition
claire.
De nouvelles règles en termes de confidentialité des données et un
renforcement des normes en matière de responsabilité pourraient
aussi être envisagées.
Les Big Tech poursuivront-elles leur croissance ?
La dépendance vis-à-vis des géants de la tech a fortement augmenté
en 2020, ménages et entreprises privilégiant les achats en ligne,
et recourant en masse aux services informatiques et de cloud, ainsi
qu'aux appareils mobiles et aux services de diffusion de vidéos en
ligne. De plus petites entreprises, particulièrement bien placées
pour tirer parti de la pandémie, ont également connu une croissance
fulgurante, la palme revenant au spécialiste des services de
vidéoconférence Zoom Video Communications.
Ces différents services faisant désormais partie du quotidien des
consommateurs, le secteur devrait continuer d'avoir le vent en
poupe cette année, selon les analystes. Des segments comme le
commerce électronique, qui, selon certaines estimations, ont
enregistré une croissance de près de 50% en 2020, continueront de
profiter de l'évolution des modes de consommation entraînée par la
pandémie. Et même lorsque la vaccination permettra de nouveau
l'accès aux bureaux et aux espaces publics, l'adoption du
télétravail par le monde de l'entreprise devrait entretenir la
demande pour les plateformes qui ont permis aux travailleurs et
usagers de rester connectés.
"Nous savions déjà que les technologies jouaient un rôle important
dans nos vies, mais nous ne voulions pas en prendre réellement la
mesure", observe Gene Munster, directeur associé de la société de
recherche et d'investissement Loup Ventures. "Avec la pandémie,
nous les avons totalement adoptées", ajoute le responsable.
Les Big Tech n'en seront pas moins confrontées à la loi des grands
nombres en 2021. Les bénéfices records qu'elles ont enregistrés
l'an dernier font planner la menace d'un ralentissement, en
particulier pour les entreprises qui, sous l'effet de la pandémie,
ont réalisé en quelques mois une croissance de plusieurs années.
Cette décélération attendue de certains segments conduit les
analystes à penser que les grands noms de la tech miseront
davantage encore sur la diffusion de vidéos en ligne, et d'autres
services appelés à connaître un bel avenir.
"Il faudra alimenter le moteur de la croissance", souligne Gene
Munster en référence à Amazon, Apple et d'autres groupes qui sont
entrés ces dernières années sur de nouveaux marchés comme celui du
streaming.
Les véhicules électriques
2021 sera une année charnière sur le marché des voitures
électriques.
Tesla, dont la valeur en Bourse est aujourd'hui la plus élevée de
tous les constructeurs automobiles, entend ouvrir deux nouvelles
usines d'assemblage, l'une aux Etats-Unis et l'autre en Allemagne,
et entrer sur le marché juteux des pick-up avec son Cybertruck
entièrement électrique fin 2021 ou début 2022. Des constructeurs
classiques comme Volkswagen, General Motors et Hyundai Motor
comptent eux aussi lancer de nouveaux modèles électriques destinés
au grand public.
"L'offensive est lancée", note Scott Keogh, le patron de Volkswagen
aux Etats-Unis, où l'entreprise doit lancer en mars son crossover
électrique ID.4.
D'autres lancements très attendus, de la part de start-up comme
Rivian Automotive ou Lucid Motors, viendront étoffer encore l'offre
de voitures électriques cette année.
Selon les patrons de l'automobile, cette diversité accrue et
l'arrivée de nouveaux concurrents contribueront à doper les ventes
de ces véhicules aux Etats-Unis, comme elles l'ont fait en Chine et
en Europe. Les ventes de voitures électriques ont augmenté de 9,8%
en Chine l'an dernier, et ont bondi de 89 % en Europe entre janvier
et novembre 2020, selon des statistiques de l'industrie
automobile.
Aux Etats-Unis en revanche, où les analystes estiment que les
quatre cinquièmes des véhicules électriques vendus en 2020 étaient
de marque Tesla, les ventes de voitures électriques ont chuté
d'environ 11% l'an dernier, selon les données de LMC
Automotive.
Le manque de stations de recharge constitue un obstacle important.
Selon les données du gouvernement, les Etats-Unis comptent
actuellement 96.000 stations publiques de recharge, une fraction du
nombre nécessaire pour soutenir une forte croissance du marché,
indiquent les analystes.
2021 pourrait cependant voir un progrès sur ce front. Durant sa
campagne, Joe Biden s'était engagé à mettre en place 500.000
nouvelles stations publiques de recharge d'ici à 2030.
La cybersécurité
Le piratage massif d'agences fédérales mis au jour le mois dernier
a révélé les lacunes des systèmes de défense américains dans le
domaine de la cybersécurité. Après cette intrusion, que des
responsables ont accusé la Russie d'avoir organisé, Joe Biden a
affirmé que la cybersécurité serait une priorité à chaque échelon
gouvernemental.
Pour Diane Rinaldo, qui a été administratrice entre 2018 et 2019 de
la National Telecommunications and Information Administration,
l'une des agences piratées, le Congrès pourrait commencer par
prendre une mesure simple : allouer des fonds. Si, de par son nom,
l'agence qu'elle administrait semblait devoir être à la pointe des
technologies, ses employés devaient composer avec une
infrastructure informatique hors d'âge, baptisée "Sneakernet", qui
les obligeait par exemple à procéder à des interventions manuelles
sur chaque ordinateur pour assurer la sauvegarde des e-mails,
raconte Diane Rinaldo.
Selon elle, Sneakernet résume à lui seul le degré d'obsolescence
des infrastructures informatiques de Washington. "C'est pourtant
simple : il faut investir de l'argent. Les systèmes doivent être
mis à niveau", souligne Diane Rinaldo, une républicaine.
Au-delà des services gouvernementaux, le principal enjeu de
cybersécurité en 2021 est le même qu'en 2020, à savoir les
confiscations de données personnelles par des logiciels
malveillants ("ransomware"), indique Eric Chien, directeur
technique de Symantec, la division de cybersécurité de Broadcom. La
situation n'a pas changé dans ce domaine et les organisations
doivent continuer de mettre en pratique les règles de base de
cybersécurité pour empêcher ce type d'attaques.
La singularité de 2021 tient à la manière dont les organisations
s'adapteront à la généralisation du télétravail. Avant la pandémie,
il était faisable pour une entreprise de demander à quelques
employés de se connecter à distance à ses systèmes au moyen de
réseaux privés virtuels. Il est moins facile de procéder de la
sorte avec l'ensemble du personnel.
"Que se passe-t-il si quelqu'un oublie qu'il est sur le réseau de
son entreprise et se met à regarder Netflix", s'interroge Eric
Chien. "Cela représente énormément de données". Selon lui, les
organisations peuvent mettre en place des systèmes de sécurité plus
simples, laissant par exemple les employés se connecter s'ils sont
sur le bon fuseau horaire et ne déclenchent pas d'avertissement de
sécurité ou de logiciel malveillant.
Le nationalisme technologique
En 2020, le gouvernement américain a pris des mesures pour empêcher
d'agir certains grands noms chinois des technologies, en
particulier le géant des télécoms Huawei et des fabricants de
microprocesseurs. Cette année, il tentera de faire en sorte que les
entreprises américaines et de pays alliés qui ont bénéficié de
cette initiative ne gaspillent pas leur avance.
Selon des conseillers démocrates et des analystes de la Chine, il
ne faut pas s'attendre à ce que l'administration Biden revienne sur
les mesures qui ont été prises contre les entreprises
technologiques chinoises.
"Il n'est pas question de faire machine arrière", affirme James
Mulvenon, qui dirige une équipe d'analystes de la Chine au sein du
groupe de défense SOS International. "L'administration Biden entend
maintenir certaines mesures utiles des politiques de Trump, et
atténuer celles qui semblent avoir été prises à chaud dans un but
punitif", remarque l'observateur.
Le nouveau gouvernement pourrait ainsi maintenir les restrictions
aux exportations des géants chinois des télécoms et des
microprocesseurs, tout en laissant aux tribunaux le soin de
déterminer la légalité de l'interdiction de TikTok et WeChat
décidée par l'administration Trump.
Le maintien du statu quo permettrait de laisser le temps aux
responsables compétents de décider comment stimuler le secteur
technologique américain. Le Congrès a récemment adopté une loi de
sécurité nationale prévoyant l'octroi de subventions et
d'incitations financières aux fabricants de microprocesseurs, des
aides qui, selon les parlementaires, pourraient atteindre jusqu'à 3
milliards de dollars par projet. Les conseillers de Joe Biden ont
indiqué qu'ils comptaient poursuivre les efforts de
l'administration Trump pour inciter les entreprises américaines à
développer des technologies d'équipement 5G à source ouverte
susceptibles de concurrencer Huawei. Le président élu lui-même a
fait des mesures d'encouragement à la fabrication de véhicules
électriques américains (secteur dont la chaîne logistique est
aujourd'hui dominée par la Chine) un pilier de son programme.
"La priorité des Etats-Unis est d'augmenter leur propre production
de microprocesseurs afin d'être moins dépendants d'usines
potentiellement instables en Asie", observe Dan Wang, analyste en
technologies de Gavekal Dragonomics basé à Pékin. "De son côté, la
Chine doit rebâtir d'importants segments de la chaîne logistique
des équipements et logiciels pour semiconducteurs"
-Stu Woo, John D. McKinnon, Sebastian Herrera et Ben Foldy, The
Wall Street Journal ed: ECH
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January 19, 2021 04:32 ET (09:32 GMT)
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