Dimitri Delmond,
Agefi-Dow Jones
PARIS (Agefi-Dow Jones)--La grande distribution ouvre grand ses
portes aux géants de la technologie. Alliances capitalistiques,
partenariats dans les services, accords commerciaux ou coopérations
dans la logistique : depuis trois ans, les distributeurs français
multiplient les initiatives pour resserrer leurs liens avec les
acteurs majeurs de la "Tech".
Tous deux membres de l'indice SBF 120, Carrefour et Casino ne
peuvent relever seuls les nombreux défis qui leurs sont présentés,
notamment dans le segment de l'e-commerce alimentaire.
L'environnement concurrentiel particulièrement agressif dans lequel
évoluent ces deux fleurons tricolores depuis cinq ans a contribué à
la détérioration de leurs marges, de leur bilan et de leur cours de
Bourse, qui a été peu ou prou divisé par deux sur la période. Dans
ce contexte, les solutions apportées par la "Big Tech" sont
devenues essentielles pour que les groupes de distribution puissent
se transformer et gagner en compétitivité. Mais le caratère
incontournable de cette expertise est à double tranchant, pointent
des analystes.
"Les distributeurs auraient tort de ne pas se rapprocher des
groupes de technologie, leurs solutions offrant d'excellentes
opportunités pour réduire les coûts et gagner en efficacité", juge
Nicolas Champ, analyste chez Barclays.
Google au coeur de l'intelligence artificielle
A la mi-septembre, Carrefour a ainsi annoncé qu'il intégrerait
d'ici à mi-2021 la solution logicielle de la firme canadienne
Food-X Technologies dans l'espoir d'améliorer la gestion de ses
commandes alimentaires en ligne en Belgique. Ce partenariat
stratégique s'inscrit dans la droite ligne de ceux déjà conclus
avec le géant américain Google, en 2018, et la jeune pousse
espagnole Glovo, l'an dernier. L'accord avec Google porte sur
l'intelligence artificielle et celui avec Glovo sur la livraison à
domicile en France, en Espagne, en Italie et en Argentine.
Casino a pour sa part concentré sa stratégie d'e-commerce
alimentaire sur la France et son enseigne Monoprix : c'est dans un
entrepôt utilisant la technologie robotique fournie par le
logisticien britannique Ocado que sont préparées les commandes
passées sur internet par les clients de l'enseigne de centre-ville.
Grâce à un accord commercial signé en 2018, des milliers de
références de Monoprix sont désormais accessibles aux abonnés du
service de livraison ultra-rapide Prime Now d'Amazon, pour peu
qu'ils soient domiciliés à Paris, Nice, Lyon ou Bordeaux.
Les distributeurs français non cotés à la Bourse de Paris ont aussi
recours à ce type d'alliances. Voilà un an, Intermarché a confié
l'étude du comportement de ses clients à Microsoft.
"Pour les acteurs de la grande distribution, confier la logistique,
la gestion des commandes ou la livraison associées à leurs
activités d'e-commerce alimentaire aux groupes technologiques est
autant une nécessité qu'un aveu de faiblesse", avertit un analyste
basé à Londres. "Les investisseurs ne leur en tiennent toutefois
pas rigueur, tant que ces mouvements permettent aux distributeurs
de gagner du temps et de rester compétitifs", observe Clément
Genelot, analyste chez Bryan, Garnier & Co.
Le loup dans la bergerie
A court terme, les avantages de telles alliances sont indéniables.
Confier ses secrets industriels à des spécialistes des données
revient toutefois à laisser entrer le loup dans la bergerie. "A
très long terme, les groupes technologiques vont s'immiscer entre
les consommateurs et les distributeurs, car ils auront mis la main
sur la relation client", prédit Clément Genelot. "Le consommateur
qui commande des produits Monoprix sur Amazon est avant tout un
client du groupe américain, car c'est ce dernier qui possède les
données essentielles relatives aux acheteurs lorsque le trafic et
la transaction ont lieu sur sa plateforme", remarque l'analyste à
titre d'exemple.
Le scénario d'une reprise en main du secteur de la distribution par
les géants de la technologie est désormais plausible, avertissent
d'autres observateurs. "Les gagnants du secteur seront ceux qui
parviendront à conjuguer au mieux la technologie et la
distribution, au point de ne plus savoir si l'on a affaire à des
groupes technologiques ou à des distributeurs", assure Olivier
Dauvers, éditeur et expert reconnu des métiers de la distribution.
"A ce jeu-là, Amazon et Alibaba se distinguent particulièrement",
ajoute-t-il.
Pour preuve, en Chine, Sun Retail Group, qui regroupe les activités
d'Auchan, n'est autre qu'une coentreprise détenue quasiment à
parité par le groupe français et... Alibaba, roi incontesté du
e-commerce dans l'empire du Milieu.
Aux Etats-Unis, Amazon a racheté voilà trois ans la chaine
américaine de supermarchés bio Whole Foods pour près de 14
milliards de dollars. Le groupe fondé par Jeff Bezos est
probablement le groupe le mieux positionné pour trouver le modèle
économique viable dans l'e-commerce alimentaire. "Lorsqu'Amazon
aura trouvé la martingale, le groupe souhaitera très probablement
exporter sa technologie en Europe", prédit Nicolas Champ.
Carrefour et Casino vigilants mais confiants
Les distributeurs français tiennent pour leur part un discours
rassurant. "Les partenariats que nous signons avec les groupes
technologiques ont vocation à être équilibrés et nous sommes
particulièrement attentifs à la protection des informations
concernant nos clients", affirme un responsable de Carrefour.
"Lorsqu'Alexandre Bompard a pris les commandes de Carrefour à l'été
2017, le groupe était en retard sur le plan technologique et ne
disposait d'aucun partenariat structurant lui permettant d'aller
chercher la croissance permise par le digital", indique une
personne au fait de la stratégie du distributeur. Cette même source
note que Carrefour a "rattrapé une partie de ce retard depuis deux
ans" tout en soulignant qu'il ne peut fournir cet effort "seul,
sans partenaires internationaux pour accélérer".
De son côté, Casino affirme que "l'innovation est un marqueur du
groupe". "Dans le cadre de notre partenariat avec Ocado, il n'y a
aucun transfert de données", assure un porte-parole du distributeur
stéphanois.
Pour résister à cette pression des géants de la technologie, les
distributeurs français devront les confiner aux fonctions de
stricts sous-traitants, en veillant à ce que les rôles ne
s'inversent pas.
La meilleure manière de résister à cette pression serait de
développer la cote d'amour de leurs magasins. D'autant que le poids
de la valeur immatérielle des enseignes ne cesse de croître dans
les actifs des distributeurs. Leurs progrès en la matière seront
attentivement surveillés par le marché.
-Dimitri Delmond, Agefi-Dow Jones; +33 (0)1 41 27 47 31;
ddelmond@agefi.fr ed: ECH - VLV
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October 02, 2020 06:05 ET (10:05 GMT)
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