Carol Ryan,



The Wall Street Journal





LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Pour mettre la main sur Bulgari, le titan du luxe Bernard Arnault a courtisé la famille propriétaire du joaillier pendant 12 ans avant qu'elle accepte un chèque de 4,3 milliards d'euros. La pandémie pourrait atténuer les réticences de certains propriétaires de marques haut de gamme, mais il sera toujours difficile de conclure des transactions.



L'écart qui existait déjà entre les performances des petites et grandes marques de créateurs s'est creusé depuis le début de la pandémie. Une importante redistribution prise de parts de marché est en cours et "certains des petits acteurs se font laminer", constate Flavio Cereda, analyste du luxe chez Jefferies. Un exploitant de centres commerciaux chinois a indiqué à Flavio Cereda que les dix premières marques représentaient actuellement 70% des ventes totales de produits de luxe, contre 45% avant la pandémie, les acteurs de plus petite taille ayant été évincés.



La tendance était claire au cours des trois premiers mois de l'année, lorsque les ventes du chausseur Tod's ont chuté de 16% et celles du créateur britannique de trench-coats Burberry de 5% par rapport à la période correspondante de l'année 2019, pré-pandémique. Les géants du secteur Hermès et LVMH ont dans le même temps connu des croissances respectives de 33% et 8%.



Le Covid rebat les cartes des successions



La crise a engagé certains fondateurs à réexaminer leurs plans de succession. Pour la première fois, le créateur italien Giorgio Armani a déclaré dans un récent entretien accordé à Vogue qu'il était moins essentiel pour sa marque d'être totalement indépendante. Le fondateur de Tod's, Diego Della Valle, a également laissé entendre publiquement qu'il serait ouvert à une cession. Les investisseurs parient qu'une détérioration des perspectives pour les marques autonomes fera tomber ces marques et d'autres dans les bras de grandes maisons de luxe comme Kering, propriétaire de Gucci. Le cours de l'action Tod's a doublé cette année, en grande partie du fait des spéculations relatives à une transaction.



Pourtant, les rachats se heurtent à certains obstacles. L'un d'eux est évidemment la valorisation, car même les marques en difficulté cotées en Bourse paraissent onéreuses. Selon les calculs de HSBC, l'ensemble du secteur du luxe se négocie à 31,9 fois les bénéfices attendus, alors que la moyenne sur 15 ans se situe à 18,4 fois. La dernière fois que les actions du secteur ont été aussi coûteuses, c'était pendant la bulle Internet.



Les riches familles fondatrices des marques de créateur, qu'elles soient cotées ou pas, ne désespèrent pas de vendre, dans la mesure où même une marque de luxe fragile dégage d'amples liquidités. Elles sont également pointilleuses quant aux partenaires avec lesquels elles souhaitent s'associer, ce qui limite les acheteurs potentiels. Diego Della Valle a ainsi précisé qu'il ne vendrait Tod's qu'à LVMH, qui a récemment triplé sa participation dans le fabricant de chaussures pour la porter à 10%. Giorgio Armani a pour sa part déclaré qu'il ne traiterait qu'avec un autre groupe italien. Son commentaire a été interprété comme un appel du pied à Exor, le véhicule d'investissement de la famille Agnelli, qui a pris des participations dans des entreprises de luxe.



Les marques trouvent déjà des alternatives à une simple vente. Lundi, le fabricant de chaussures de luxe Salvatore Ferragamo a débauché le directeur général de Burberry, Marco Gobbetti, signe que la famille fondatrice Ferragamo souhaite redresser elle-même la marque en difficulté. Le titre de la société a depuis reculé d'environ 7%, la perspective d'un rachat semblant moins probable. En mars, la marque de chaussures Christian Louboutin a vendu 24% de ses activités à Exor, après avoir refusé de multiples approches des grandes maisons françaises, selon des banquiers spécialisés dans les fusions et acquisitions.



A condition qu'ils parviennent à convaincre les propriétaires, les acheteurs potentiels ont les moyens de conclure des transactions. Les ventes mondiales de luxe devraient égaler ou dépasser les niveaux de 2019 cette année, estime le cabinet de conseil Bain. La reprise fulgurante intervient environ deux ans plus tôt que prévu, ce qui signifie que la trésorerie recommence à s'accumuler dans les bilans des grandes marques.



Si les quatre plus grandes entreprises cotées européennes du secteur du luxe, LVMH, Kering, Hermès et Richmemont, s'endettaient pour une valeur égale à trois fois leur excédent brut d'exploitation (Ebitda), leur puissance de feu combinée pour des transactions atteindrait théoriquement 85 milliards d'euros, selon les estimations de Bernstein.



Des accords "gagnant-gagnant"



Le rachat de marques indépendantes peut être bénéfique aux deux parties. Les grandes maisons de luxe ont les moyens d'investir dans le commerce électronique et le marketing, ainsi que dans les meilleures boutiques, ce qui n'est pas le cas des petits acteurs propriétaires. A titre d'exemple, les ventes de Bulgari ont doublé et ses marges d'exploitation ont triplé depuis que LVMH en est devenu propriétaire, voilà dix ans.



Kering est certainement le groupe qui a le plus besoin de faire des emplettes pour réduire sa dépendance à l'égard de Gucci, qui génère 83% de son résultat d'exploitation total. Le groupe pourrait également vouloir se renforcer pour faire face à la concurrence de LVMH. Son grand rival a vu sa capitalisation boursière augmenter d'environ 130 milliards d'euros depuis le début de l'année dernière, soit plus que la valeur totale de Kering.



Les marques les plus attrayantes, comme Chanel et Patek Philippe, étant entre les mains d'intérêts privés, la capacité à convaincre les familles propriétaires sera particulièrement importante si des rapprochements majeurs devaient avoir lieu. Dans ce domaine, LVMH dispose d'un certain avantage. Il a réalisé six opérations de plusieurs milliards d'euros au cours de la dernière décennie, y compris des cibles non cotées comme Bulgari et Loro Piana, ainsi que le joaillier américain coté en Bourse Tiffany. Kering n'a pas réalisé une seule transaction de plus d'un milliard d'euros au cours de la même période, bien qu'il ait effectué un excellent travail de redressement de ses propres marques.



Même si les petites marques font face à un avenir plus incertain dans le sillage de la pandémie, les acheteurs devront toujours offrir de gros chèques et faire preuve de charme pour arriver à leurs fins.






-Carol Ryan, The Wall Street Journal



(Version française Eric Chalmet) ed: LBO - FXS



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July 05, 2021 03:59 ET (07:59 GMT)




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