Uber, Delivery Hero et DoorDash peineront à prospérer dans l'alimentaire - Plus Inter
22 Mars 2021 - 1:22PM
Dow Jones News
Carol Ryan,
The Wall Street Journal
LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Il est maintenant possible, dans
certaines villes, de commander une petite bouteille de lait via
l'application Uber Eats et de la recevoir chez soi en moins de 15
minutes. Reste à déterminer si cette récente tendance consistant à
livrer des produits d'épicerie est une preuve de l'ingéniosité des
plateformes de livraison de repas, ou plutôt une tentative
désespérée de continuer à satisfaire à tout prix des investisseurs
avides de croissance.
S'adaptant aux conditions de pandémie, les plateformes de livraison
de repas qui font habituellement affaire avec les restaurants se
mettent à courtiser les supermarchés, une initiative qui tombe à
point nommé pour les chaînes d'épicerie soudainement confrontées à
une explosion de la demande pour le commerce électronique, de même
que pour des entreprises comme Uber, dont les chauffeurs ont pâti
de l'effondrement de la demande pour les trajets en VTC.
DoorDash et GrubHub ont eux aussi commencé à signer des contrats
avec des supermarchés. Deliveroo, qui doit prochainement faire son
entrée au London Stock Exchange, a récemment indiqué que la
livraison de courses alimentaires représentait la partie de son
activité qui enregistrait la plus forte croissance.
Cette stratégie présente une certaine logique. Au cours de l'année
passée, de plus en plus de consommateurs ont pris l'habitude de
passer une grande commande hebdomadaire en ligne. Ils pourraient
donc aussi se laisser tenter par ces applications pour réaliser de
petites courses dans l'intervalle.
Les géants des livraisons de repas, avec leurs flottes croissantes
de chauffeurs et de livreurs à vélo, sont bien positionnés pour
effectuer de petites livraisons rapides, et les consommateurs
urbains, qui fréquentent leurs épiceries de proximité pour des
achats réduits mais réguliers, pourraient constituer une très bonne
clientèle. Le marché est en outre énorme : le secteur mondial de
l'alimentation de détail représente environ 7.600 milliards de
dollars par an, selon UBS.
Une activité où les marges sont faibles
Toute la difficulté consiste à faire en sorte que cette stratégie
soit rentable. Lorsqu'Uber Eats ou Deliveroo livrent un repas pour
un restaurant indépendant, ils sont perdants alors même qu'ils
empochent une commission de 30% sur la commande. Or comme les
supermarchés fonctionnent avec des marges extrêmement faibles, il
leur est généralement impossible de supporter des commissions
supérieures à 15% ou 20%. La probabilité de nouer des partenariats
rentables avec les supermarchés est donc bien plus faible qu'avec
les restaurants.
Les plateformes de livraison alimentaire peuvent appliquer d'autres
frais pour améliorer leurs chiffres, par exemple en augmentant les
prix des produits. Une commande passée grâce à une application
coûte en moyenne 20% de plus qu'un achat en magasin, selon les
analystes de Jefferies, et cette surcote franchit les 100% pour les
petits paniers. Le risque pour les entreprises de livraison serait
que les consommateurs préfèrent au final se déplacer eux-mêmes.
Dans les zones densément peuplées déjà bien desservies en magasins
de proximité, les applications offrent généralement la
livraison.
D'autres difficultés logistiques font également obstacle à la
rentabilité. Les commandes arrivent rapidement grâce aux coursiers
à vélo ou à moto, mais leur capacité de transport est limitée. Des
articles encombrants comme le pain, le lait ou le papier toilette
prennent de la place mais rapportent peu. Les produits alcoolisés
sont plus intéressants car ils coûtent plus cher, ce qui peut
expliquer qu'Uber ait récemment mis la main sur le service de
livraisons d'alcool Drizly pour 1,1 milliard de dollars.
Delivery Hero devient un commerce alimentaire
Empruntant une autre voie, le berlinois Delivery Hero a pris le
parti de devenir lui-même un commerce alimentaire. A la fin 2020,
le groupe avait implanté près de 500 Dmarts - de mini-entrepôts
alimentaires où les commandes sont collectées pour être livrées. Au
quatrième trimestre, la division abritant cette nouvelle activité
avait généré 9% du chiffre d'affaires total.
Delivery Hero doit maintenant louer des locaux et s'approvisionner
directement auprès des fournisseurs, tout en disposant d'un moindre
pouvoir d'achat que les grandes chaînes de supermarchés qu'il
concurrence. Le groupe travaille également avec des fabricants
tiers pour créer ses propres produits. Les marges bénéficiaires de
ces marques de distributeur sont plus élevées que les autres, mais
il s'agit là d'un domaine bien éloigné de l'expertise du géant de
la tech dans les applications et la logistique.
Le casse-tête de la valorisation
Si cette initiative croît suffisamment pour représenter à terme une
part non négligeable des ventes, les investisseurs risquent de
payer une valorisation technologique pour une division qui exerce
une activité fondamentalement mature et gourmande en capitaux.
Les titres des grandes chaînes de supermarché qui proposent
également un service de livraison, comme Walmart, Tesco, Kroger et
Carrefour, s'échangent sur un multiple inférieur à une fois le
chiffre d'affaires attendu, alors que les applications de livraison
peuvent atteindre des multiples compris entre 3 et 7.
S'il est un concurrent qui mérite d'être surveillé, c'est Just Eat
Takeaway.com, qui deviendra, hors du marché chinois, la première
entreprise mondiale de livraisons de repas en termes de chiffre
d'affaires dès que sa fusion avec Grubhub sera finalisée. Le groupe
s'est justement retiré de la distribution alimentaire. Son
fondateur, Jitse Groen, a expliqué que, d'après lui, cette nouvelle
tendance ne permettait pas de mettre à profit l'argent des
investisseurs. Or le ton a changé depuis quelques mois, et une
volte-face n'est pas à exclure.
Dans le secteur relativement jeune et en pleine expansion des
applications de livraisons alimentaires, il est certainement
possible de développer des activités rentables sans pour autant
s'engager sur un terrain aussi épineux que l'épicerie. Même avec
toutes leurs prouesses technologiques, les applications auront le
plus grand mal à concurrencer les supermarchés.
-Carol Ryan, The Wall Street Journal
(Version française Emilie Palvadeau) ed : ECH
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