Par Corentin Chappron





PARIS (Agefi-Dow Jones)--Les ramifications financières de la guerre en Ukraine ne cessent de s'étendre. Le London Metal Exchange (LME), la principale Bourse sur laquelle sont cotés les métaux, est désormais confronté à un choix cornélien : interdire les métaux russes, quitte à bouleverser les marchés mondiaux, ou les laisser traiter, au risque de subir une nouvelle vague de sanctions. Le LME demande à ses membres de réagir avant le 28 octobre.



500 entrepôts dans 32 localisations



La question est d'importance. La Bourse a beau être un "marché de dernier ressort", puisque la plupart des producteurs et des consommateurs de matières premières signent des contrats sans passer par les marchés à terme, le LME joue un rôle de découverte et de fixation de prix. Une partie des contrats d'approvisionnement sont ainsi indexés sur les prix du LME. La Bourse fluidifie aussi les transactions, en permettant aux acteurs de limiter les risques de prix en étant courts (pour les vendeurs de cargaison physique) ou longs (pour les acheteurs) sur les contrats à terme. Enfin, l'échange contribue à équilibrer les marchés, puisqu'il dispose d'un réseau mondial de plus de 500 entrepôts, dans 32 localisations, capable d'absorber un excès de production lorsque la demande est faible, ou de rééquilibrer un manque d'offre.



A ces trois mécanismes s'ajoute l'importance de la Russie. Le pays représente 16,4% des exportations mondiales de nickel (première place), 6,8% du cuivre (deuxième place), 10% de l'aluminium (2e place) et 7,4% de l'acier mondial (2e place). L'Europe, Suisse incluse, est elle-même une plateforme importante du négoce pour les exports russes. Elle en représente la quasi-totalité pour le nickel, les deux tiers pour le cuivre, la moitié pour l'aluminium et le quart pour l'acier, selon des chiffres du fournisseur de données OEC.



Surstockage



Ce sont précisément les interactions entre ces quatre points qui inquiètent le LME. "Face à la menace de sanctions, les producteurs russes envisagent de stocker leur production directement sur les marchés organisés", résume Jean-François Lambert, fondateur de Lambert Commodities. "Ce qui n'est, en temps normal, jamais une option pour ces acteurs, qui préfèrent s'engager sur des contrats à long terme avec leurs acheteurs. Le risque est celui d'un choc sur les prix, lié à une suraccumulation de métal russe". De fait, les contrats sur le LME sont adossés à une quantité physique de matière première détenue dans l'un des entrepôts de l'échange.



Si les métaux russes constituent une large portion des stocks, les contrats sur le LME refléteront le prix de ces métaux. Et s'il est difficile ou impossible de les échanger, il se créera une prime entre métal russe et métal non-russe : les prix du LME ne seront pas ceux du reste des marchés. L'inquiétude de l'échange est d'autant plus vive qu'il est déjà arrivé que la part de métal russe dans les stocks soit considérable : jusqu'à plus de 80% des inventaires pour le cuivre en 2021 (contre plus de 60% aujourd'hui) ; 74% pour l'aluminium en 2014 (moins de 20% aujourd'hui), ou 65% pour le nickel en 2013 (contre à peine quelques points de pourcentage fin septembre).



Certes, les métaux russes ne sont pas encore sanctionnés. Pourtant, dans son document de consultation, le LME note, sans donner de chiffres, qu'un nombre important d'entreprises choisissent de se "sanctionner volontairement" en refusant d'engager des contrats d'approvisionnement pour 2023 avec des producteurs russes. Les entreprises Rio Tinto, Aurubis, Novelis ou Norsk Hydro Extrusion ont ainsi annoncé ne plus se fournir auprès de groupes russes, tandis que le producteur américain d'aluminium Alcoa a alerté le LME sur le risque que représentaient ces exclusions volontaires. En parallèle, la possibilité que de nouvelles sanctions soient prises par les Etats crée de l'incertitude.



Déstabilisateur



Bien qu'il soit un acteur privé, le LME soumet donc trois propositions à ses membres pour limiter la volatilité et assurer le bon fonctionnement des marchés.



Une première option vise à ne rien faire tant qu'une décision n'est pas prise ou que les métaux russes n'ont pas d'impact sur les prix.



Une deuxième option consisterait à limiter la quantité de produits russes pouvant être stockés dans les entrepôts.



Enfin, la dernière proposition envisagée consisterait à suspendre l'émission de contrats sur le métal russe et son stockage en entrepôt, empêchant de fait la vente de ces matières premières sur l'échange. Ce qui n'a jamais été fait à cette échelle.



"A moins que la situation en Ukraine ne se dégrade, il est difficile de concevoir que les métaux russes puissent être bannis du LME", estime Jean-François Lambert. "Ceux-ci représentent un tel poids en Europe que la décision serait très déstabilisatrice pour les acheteurs. Et elle mènerait à une période de volatilité et d'incertitude très importante sur les marchés". "Les entrepôts du LME sont mondiaux, et l'Europe ne serait donc pas la seule région affectée par une interdiction", ajoute Tal Lomnitzer, gérant actions matières premières chez Janus Henderson. "Les prix réagiraient fortement à court terme, d'autant que les inventaires mondiaux sont bas : les marges pour absorber un choc sur l'offre sont limitées. A terme cependant, les métaux russes trouveront des débouchés et les prix diminueront".



La "LME Week", la semaine prochaine, qui rassemblera les acteurs présents sur l'échange, devrait aider la Bourse des métaux à choisir entre stabilité des marchés à court terme, et certitude sur le devenir des métaux russes.





-Corentin Chappron, L'agefi. ed: ECH



"Le Market Blog" est le blog économique et financier de l'agence Agefi-Dow Jones.



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October 12, 2022 06:16 ET (10:16 GMT)




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