La grève dans l'automobile met en lumière les dysfonctionnements de Detroit -Plus USA
18 Septembre 2023 - 02:20PM
Dow Jones News
LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Le mouvement social en cours à Detroit
pourrait non seulement coûter aux constructeurs automobiles General
Motors, Ford et Stellantis des milliards de dollars, mais il met
également en évidence, et c'est sans doute là le plus grave,
l'impuissance de ces acteurs historiques face à un secteur en plein
bouleversement.
Sans surprise, le syndicat United Auto Workers (UAW) et les trois
constructeurs historiques n'ont pas trouvé d'accord sur les
conventions collectives qui régiront le secteur pour les quatre
prochaines années et cet échec a déclenché le début d'un mouvement
de grève. Pour les investisseurs, les questions qui se posent en
priorité portent sur le coût de ce mouvement et sur l'ampleur de sa
prise en compte par le marché, la situation n'ayant manifestement
surpris personne.
Le coût est particulièrement incertain, étant donné la stratégie
inhabituelle pour laquelle a opté le président de l'UAW, Shawn
Fain, et la durée indéterminée du mouvement. Il ne fait en revanche
aucun doute que les trois grands constructeurs, après deux ans de
bénéfices records, sont en mesure de supporter toute initiative ou
presque de l'UAW pour les faire plier. C'est un peu le paradoxe de
cette affaire : Shawn Fain a fait des bénéfices engrangés par les
trois groupes un sujet central de sa campagne, or ces bénéfices
leur confèrent justement un trésor de guerre qui affaiblit le
pouvoir de négociation du syndicat.
L'impact financier d'une grève peut être mesuré par les coûts fixes
qui ne sont plus couverts par les revenus habituellement tirés des
ventes de véhicules et de pièces détachées. Les constructeurs
automobiles supportent des coûts fixes particulièrement élevés. A
l'issue des six semaines de grève menées en 2019 par les ouvriers
de ses lignes d'assemblage, General Motors en avait estimé l'impact
sur son résultat d'exploitation à 3,6 milliards de dollars, soit
600 millions de dollars par semaine.
Une grève ciblée
Cette fois, l'UAW a opté pour une grève ciblée visant une usine de
chaque constructeur, et non toutes les usines de l'un des trois
constructeurs. Les usines concernées ont été désignées à la
dernière minute, ce qui augmente les coûts supportés par les
constructeurs : les plannings jouent en effet un rôle de premier
plan dans le ballet de la construction automobile. Le coût de
fermeture d'un site reste néanmoins assez bas au regard de la
taille de ces entreprises.
Pour donner un ordre d'idée, l'UAW a choisi de cibler l'usine Ford
située en périphérie de Detroit qui fabrique les modèles Bronco et
Ranger destinés au marché américain. Au premier semestre, Ford en a
vendu quelque 83.000 aux Etats-Unis - soit près de 3.200 par
semaine. Les ventes aux Etats-Unis ne donnent qu'une indication
imparfaite de la production, mais les coûts fixes découlant de la
vente non réalisée de 3.200 véhicules pourraient tourner autour de
45 millions de dollars, ce qui reste gérable pour une entreprise
qui, avant la grève, tablait cette année sur un résultat
d'exploitation compris entre 11 milliards et 12 milliards de
dollars.
Evidemment, le montant augmentera si l'UAW se décide à cibler
davantage d'usines pour accroître la pression sur les
constructeurs. Au bout de plusieurs semaines, la facture des coûts
fixes pour les trois groupes pourrait aisément franchir la barre du
milliard de dollars. Les parties semblent encore très loin d'un
compromis sur la simple question des augmentations de salaires, GM
proposant par exemple une hausse de 20% sur quatre ans tandis que,
selon le communiqué publié jeudi par Ford, le syndicat exige encore
une revalorisation salariale à peine inférieure à celle de 40%
réclamée au début des négociations.
Les actions Ford et GM en baisse depuis juillet
Quel que soit le coût final, il sera probablement inférieur au
montant que les investisseurs ont déjà déduit du cours de Bourse.
GM et Ford ont perdu chacun près de 10 milliards de dollars de
capitalisation boursière depuis l'ouverture des négotiations le 13
juillet. Ce recul est également lié à d'autres facteurs, dont une
multiplication des offres promotionnelles qui pèsera sur les marges
des constructeurs, mais le risque croissant d'une grève constituait
la première source de préoccupation des investisseurs américains.
Parallèlement, l'action Stellantis, qui dispose d'une activité
internationale et d'une base d'actionnaires plus larges, est restée
globalement stable.
Si le mouvement de vente semble exagéré, c'est aussi parce que la
production perdue en raison de la grève pourrait, de façon
contre-intuitive, faire baisser les stocks et ainsi réduire
l'impact de ces coûteuses offres promotionnelles. La pénurie de
semi-conducteurs a montré au secteur qu'une perte de production
n'équivalait pas à une perte de bénéfices : les profits records de
l'an dernier ont été dégagés en dépit d'une production de véhicules
légers en Amérique du Nord inférieure de 13% à celle de 2019.
D'un point de vue moins strictement financier, ce mouvement de
grève donne tout de même aux investisseurs une réelle raison de
s'inquiéter pour Detroit. Le coût élevé de la main d'oeuvre a bel
et bien contribué à la faillite d'une grande partie du secteur
pendant la crise financière de 2007-2009. Depuis lors, Detroit a
retrouvé une confortable situation d'oligopole sur le segment des
grands SUV et pick-up, à la faveur d'un retournement de tendance
chez les consommateurs. Mais le coût élevé de la main d'oeuvre
vient fragiliser de nouveau le secteur alors que se profile la
concurrence de nouveaux acteurs non syndiqués, comme Tesla et
Rivian.
Au lieu de s'unir pour mieux lutter contre cette menace, les trois
constructeurs historiques se battent une fois de plus contre
eux-mêmes. Cette lutte intestine n'augure rien de bon pour une
transition vers l'électrique qu'ils amorcent à grand peine.
-Stephen Wilmot, The Wall Street Journal
(Version française Emilie Palvadeau) ed: VLV
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