Bruno de Roulhac,
L'Agefi
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Une certaine cacophonie pourrait résonner
mercredi matin salle Pleyel. Lors de l'assemblée générale de
TotalEnergies, son PDG, Patrick Pouyanné, devra expliquer à ses
actionnaires, et en particulier à certains, pourquoi il a refusé
d'inscrire à l'ordre du jour leur résolution climatique.
En 2021, TotalEnergies avait pour la première fois présenté une
résolution consultative sur sa politique climatique ("say on
climate") fixant son programme de transition énergétique à horizon
2030. Elle avait été plébiscitée à près de 92%, malgré l'opposition
d'actionnaires institutionnels, comme CNP Assurances, l'Ircantec,
OFI AM, le gérant néerlandais MN, Meeschaert AM, ou encore
Sycomore. L'énergéticien espérait-il alors avoir gagné la partie
pour l'avenir ? C'était compter sans l'opiniâtreté de gestions
attachées à une transition climatique alignée avec l'accord de
Paris.
Une première coalition de 12 investisseurs - parmi lesquels
Candriam, Egamo, Erafp, La Banque Postale Asset Management, La
Financière de l'Echiquier, Mandarine Gestion, Meeschaert Amilton
AM, Messieurs Hottinguer & Cie Gestion Privée, OFI AM, Sanso
IS, Sycomore AM - avait déposé, début avril, un projet de
résolution demandant la publication d'objectifs climatiques "selon
un cadre exigeant et ambitieux", et un "say on climate" annuel.
Des gestions divisées sur les engagements du pétrolier
Dans la foulée, à la suite de discussions avec les investisseurs,
TotalEnergies s'est notamment engagé à publier des objectifs de
réduction absolue et relative des émissions de gaz à effet de serre
(GES) sur les scopes 1, 2 et 3 à court (2025) et moyen (2030) terme
et à soumettre annuellement sa stratégie climat au vote consultatif
de ses actionnaires. Ce premier groupe d'investisseurs a alors
renoncé à sa résolution.
En revanche, une seconde coalition, menée par le néerlandais MN et
réunissant aussi Achmea Investment Management, Aegon Asset
Management, APG, BPL Pensioen, DPAM, Edmond de Rothschild Asset
Management, Greater Manchester Pension Fund, La Financière de
l'Echiquier, PGGM Investments et Van Lanschot Kempen, a relevé le
niveau d'exigence en demandant au pétrolier français de "fixer et
publier des objectifs cohérents avec l'accord de Paris".
TotalEnergies s'est refusé à inscrire cette résolution car, selon
lui, "elle empiète sur la compétence d'ordre public du conseil
d'administration de fixer la stratégie de la société. Le conseil ne
peut donc pas l'accepter". Le pétrolier propose seulement de
dialoguer lors de l'AG.
Face à ce refus, ces investisseurs se sont adressés à l'Autorité
des marchés financiers (AMF), en lui demandant de faire usage de
son pouvoir d'injonction. Sans effet. La semaine dernière lors de
la présentation du rapport annuel de l'AMF, son président, Robert
Ophèle, a précisé que le régulateur n'avait pas de pouvoir
d'injonction en matière de droit des sociétés et qu'il fallait
saisir le tribunal de commerce.
Une réponse jurisprudentielle est nécessaire
Si MN et ses alliés ont menacé de saisir les juridictions
compétentes, ils ne l'ont pas fait. En effet, une décision en
référé aurait probablement renvoyé à une décision au fond qui
serait intervenue après l'AG. Et pourtant, ce refus d'inscrire une
résolution à l'ordre du jour nécessite une réponse
jurisprudentielle.
"Plus que la loi, la jurisprudence semble plus adaptée pour
apporter une réponse détaillée et circonstanciée", confie un
juriste. L'article R225-74 du Code de commerce stipule bien que les
"projets de résolution sont inscrits à l'ordre du jour", si, bien
sûr, le seuil de détention exigé - entre 0,5% et 5% du capital en
fonction de la capitalisation - est atteint. Ce texte peut
toutefois avoir deux lectures, l'une impérative, où le conseil
d'administration n'a pas de pouvoir d'appréciation, et l'autre plus
extensive, où le conseil dispose d'un pouvoir discrétionnaire et
argue de la répartition des pouvoirs entre conseil et assemblée
générale.
Face aux controverses, une réponse jurisprudentielle est
nécessaire. Dans son rapport sur le gouvernement d'entreprise, le
régulateur a déjà appelé de ses vœux une clarification législative
sur l'articulation entre les pouvoirs du conseil et ceux de
l'assemblée générale. Par ailleurs, "les émetteurs doivent être
clairs sur la portée de leur résolution", a précisé Robert Ophèle.
"Si le vote est négatif quelle conséquence en tirent-ils ?" C'est
un signe que la stratégie doit être amendée...
Un cadre législatif pour le "say on climate"
Plus largement, Robert Ophèle estime que le "say on climate" mérite
un cadre législatif. Le Haut Comité juridique de la Place
financière de Paris (HCJP) devrait prochainement dévoiler ses
propositions sur les résolutions climatiques. Le Forum pour
l'investissement responsable (FIR) demande pour sa part au
législateur de "se saisir rapidement de la question" et de
"permettre à l'AMF de juger de la recevabilité des résolutions en
assemblée générale".
Pour manifester leur mécontentement face au veto de TotalEnergies,
MN a déjà prévenu qu'il voterait contre la rémunération 2021 du PDG
et contre la résolution consultative sur le rapport climatique. Ses
alliés pourraient adopter la même stratégie. Meeschaert Amilton AM,
qui avait réussi à faire inscrire la même résolution en 2020 - qui
avait recueilli 16,8% des suffrages et 11,1% d'abstentions -, a
annoncé la semaine dernière qu'il voterait contre le "say on
climate" de TotalEnergies.
De leur côté, 13 ONG, dont Reclaim France, invitent les
actionnaires de TotalEnergies à voter contre "son faux plan climat"
et "à sanctionner sa stratégie d'expansion dans les hydrocarbures,
en s'opposant au renouvellement des administrateurs". Les mandats
de Lise Croteau, Maria van der Hoeven et Jean Lemierre sont en
renouvellement cette année.
-Bruno de Roulhac, L'Agefi ed: VLV
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May 23, 2022 03:29 ET (07:29 GMT)
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