François Schott,



Agefi-Dow Jones





PARIS (Agefi-Dow Jones)--Le grand soir attendra pour les groupes pétroliers. Aucune des résolutions demandant une réduction drastique des émissions de dioxyde de carbone (CO2) n'a été adoptée lors des récentes assemblées générales des cinq 'majors' - Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell.



Malgré la mobilisation active d'une frange d'actionnaires, des textes demandant à Exxon et Chevron d'aligner leurs objectifs d'émissions de CO2 sur ceux de l'Accord de Paris n'ont recueilli que 11% et 10% des votes, respectivement. C'est moins qu'en 2022, où des résolutions similaires avaient recueilli respectivement 28% et 33%.



Chez BP et Shell, le nombre d'actionnaires réclamant un changement de braquet dans la course à la neutralité carbone n'a pas dépassé 20% cette année, tandis qu'il a atteint 30% chez TotalEnergies.



Mark van Baal, le fondateur de la société d'activisme actionnarial Follow This, qui a déposé la plupart de ces résolutions, a du mal à cacher sa déception.



"Il est incompréhensible que la plupart des investisseurs continuent d'accepter le refus de ces supermajors de réduire leurs émissions au cours de cette décennie. Ils connaissent tous les données scientifiques : pour éviter une catastrophe climatique, les émissions mondiales doivent être réduites de près de moitié d'ici à 2030", souligne-t-il.



La plupart des entreprises pétrolières se sont fixé des objectifs de réduction d'émissions portant sur leur propre consommation d'énergie, durant tout le processus allant de l'extraction d'hydrocarbures à la distribution de carburants. En revanche, ces objectifs ne tiennent pas compte des émissions liées à l'utilisation par le consommateur final de leurs produits, qui représentent 90% des rejets dans l'atmosphère attribuables au secteur.



Un climat moins propice



Réduire ces émissions impliquerait une baisse de la production pétrolière et gazière mondiale. Or, la guerre en Ukraine a souligné à quel point le pétrole et le gaz restaient au centre du 'mix énergétique'. Après un rebond en 2022, la demande mondiale de pétrole devrait encore augmenter cette année et dépasser pour la première fois son niveau d'avant Covid, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).



Difficile pour les pétroliers de ne pas profiter de ce regain de demande, quitte à revenir sur leurs engagements climatiques, comme l'a fait BP en début d'année. Le groupe a revu ses objectifs de réduction d'émissions, car il veut investir dans de nouveaux projets pétroliers à court terme "afin de répondre à la demande actuelle et pour garantir une transition ordonnée". BP prévoit ainsi de faire baisser sa production de pétrole et de gaz de 25% entre 2019 et 2030, alors qu'il prévoyait auparavant une réduction de 40%. Les émissions liées à la production et à l'utilisation de ses produits ne sont plus prévues qu'en baisse de 20% à 30% sur la même période alors que l'entreprise visait auparavant une diminution de 35% à 40%.



TotalEnergies quant à lui n'entend pas se lier les mains avec un nouvel objectif de réduction d'émissions incluant les émissions indirectes à l'horizon 2030. La demande de pétrole ne devrait pas baisser avant la fin de la décennie, a indiqué son président-directeur général, Patrick Pouyanné, lors de l'assemblée générale des actionnaires. "Si nous arrêtons de produire maintenant, nous ne pourrons pas répondre à la demande, d'autres le feront à notre place", a-t-il ajouté pour justifier ses investissements dans de nouveaux projets pétroliers. Le groupe prévoit cependant d'atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui implique une forte baisse de ses émissions après 2030.



Des actionnaires partagés



Malgré l'urgence climatique et une pression croissante de la société civile, les majors pétrolières n'entendent pas se laisser dicter le tempo de leur transition énergétique. Les arguments ne manquent pas pour justifier le développement de nouveaux gisements d'hydrocarbures : nécessité d'assurer la sécurité des approvisionnements et l'indépendance énergétique de l'Europe notamment, faible coût des hydrocarbures, remplacement de centrales au charbon par des centrales à gaz, moins polluantes.



L'échec des résolutions climat montre que les actionnaires sont, au moins en partie, sensibles à ces arguments, même si ceux de TotalEnergies se sont montrés plus sensibles aux arguments des défenseurs du climat. "Le soutien plus important à la résolution climat démontre l'augmentation du nombre d'actionnaires qui doutent de l'efficacité de la stratégie dite climat de TotalEnergies. Mais beaucoup peinent encore à voter en cohérence avec ce constat", souligne Lucie Pinson, fondatrice et directrice de l'ONG Reclaim Finance, qui lutte pour l'arrêt des financements aux projets pétroliers.



Les contre-feux des 'anti-ESG'



"Aujourd'hui, les investisseurs savent que la crise climatique représente un risque important pour l'ensemble de leurs portefeuilles", ajoute Mark van Baal, qui craint cependant un retour en arrière de la part de certains investisseurs en raison de l'émergence du mouvement 'anti-woke' aux Etats-Unis. Ce dernier pourrait expliquer, selon lui, le recul des résolutions climat chez Chevron et Exxon cette année.



Ce mouvement politique prône l'abandon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) comme guides d'investissement. L'un de ses principaux acteurs, l'investisseur Vivek Ramaswamy, a notamment demandé dans une lettre publiée en septembre dernier à Chevron de pomper davantage d'énergies fossiles au cours des dix prochaines années. Il y dénonçait également la "pression" mise sur les compagnies pétrolières par les grands gestionnaires d'actifs américains - BlackRock, State Street et Vanguard - pour freiner leurs activités.



Des élus républicains ont également fustigé la politique climatique de BlackRock qui nuirait, selon eux, à l'économie et au secteur pétrolier en particulier. En Floride, au Texas, en Louisiane et en Caroline du Sud, le gestionnaire a subi une décollecte d'environ 4 milliards de dollars sur les fonds de pension de ces Etats en guise de représailles à sa politique ESG.



Cette dernière reste pourtant très mesurée à l'égard des compagnies pétrolières américaines, à qui BlackRock demande de mieux anticiper les conséquences du changement climatique et de la décarbonation de l'économie. L'année dernière, le gestionnaire n'avait pas soutenu les résolutions demandant à Exxon et Chevron de se fixer de nouveaux objectifs de réduction d'émissions. Il est probable qu'il ait fait de même cette année, au grand dam des défenseurs du climat. Le détail des votes lors des assemblées générales 2023 ne sera pas connu avant plusieurs semaines.





-François Schott, Agefi-Dow Jones; 01 41 27 47 92; fschott@agefi.fr ed: VLV





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June 02, 2023 09:18 ET (13:18 GMT)




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