LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Le mouvement social en cours à Detroit pourrait non seulement coûter aux constructeurs automobiles General Motors, Ford et Stellantis des milliards de dollars, mais il met également en évidence, et c'est sans doute là le plus grave, l'impuissance de ces acteurs historiques face à un secteur en plein bouleversement.



Sans surprise, le syndicat United Auto Workers (UAW) et les trois constructeurs historiques n'ont pas trouvé d'accord sur les conventions collectives qui régiront le secteur pour les quatre prochaines années et cet échec a déclenché le début d'un mouvement de grève. Pour les investisseurs, les questions qui se posent en priorité portent sur le coût de ce mouvement et sur l'ampleur de sa prise en compte par le marché, la situation n'ayant manifestement surpris personne.



Le coût est particulièrement incertain, étant donné la stratégie inhabituelle pour laquelle a opté le président de l'UAW, Shawn Fain, et la durée indéterminée du mouvement. Il ne fait en revanche aucun doute que les trois grands constructeurs, après deux ans de bénéfices records, sont en mesure de supporter toute initiative ou presque de l'UAW pour les faire plier. C'est un peu le paradoxe de cette affaire : Shawn Fain a fait des bénéfices engrangés par les trois groupes un sujet central de sa campagne, or ces bénéfices leur confèrent justement un trésor de guerre qui affaiblit le pouvoir de négociation du syndicat.



L'impact financier d'une grève peut être mesuré par les coûts fixes qui ne sont plus couverts par les revenus habituellement tirés des ventes de véhicules et de pièces détachées. Les constructeurs automobiles supportent des coûts fixes particulièrement élevés. A l'issue des six semaines de grève menées en 2019 par les ouvriers de ses lignes d'assemblage, General Motors en avait estimé l'impact sur son résultat d'exploitation à 3,6 milliards de dollars, soit 600 millions de dollars par semaine.



Une grève ciblée



Cette fois, l'UAW a opté pour une grève ciblée visant une usine de chaque constructeur, et non toutes les usines de l'un des trois constructeurs. Les usines concernées ont été désignées à la dernière minute, ce qui augmente les coûts supportés par les constructeurs : les plannings jouent en effet un rôle de premier plan dans le ballet de la construction automobile. Le coût de fermeture d'un site reste néanmoins assez bas au regard de la taille de ces entreprises.



Pour donner un ordre d'idée, l'UAW a choisi de cibler l'usine Ford située en périphérie de Detroit qui fabrique les modèles Bronco et Ranger destinés au marché américain. Au premier semestre, Ford en a vendu quelque 83.000 aux Etats-Unis - soit près de 3.200 par semaine. Les ventes aux Etats-Unis ne donnent qu'une indication imparfaite de la production, mais les coûts fixes découlant de la vente non réalisée de 3.200 véhicules pourraient tourner autour de 45 millions de dollars, ce qui reste gérable pour une entreprise qui, avant la grève, tablait cette année sur un résultat d'exploitation compris entre 11 milliards et 12 milliards de dollars.



Evidemment, le montant augmentera si l'UAW se décide à cibler davantage d'usines pour accroître la pression sur les constructeurs. Au bout de plusieurs semaines, la facture des coûts fixes pour les trois groupes pourrait aisément franchir la barre du milliard de dollars. Les parties semblent encore très loin d'un compromis sur la simple question des augmentations de salaires, GM proposant par exemple une hausse de 20% sur quatre ans tandis que, selon le communiqué publié jeudi par Ford, le syndicat exige encore une revalorisation salariale à peine inférieure à celle de 40% réclamée au début des négociations.



Les actions Ford et GM en baisse depuis juillet



Quel que soit le coût final, il sera probablement inférieur au montant que les investisseurs ont déjà déduit du cours de Bourse. GM et Ford ont perdu chacun près de 10 milliards de dollars de capitalisation boursière depuis l'ouverture des négotiations le 13 juillet. Ce recul est également lié à d'autres facteurs, dont une multiplication des offres promotionnelles qui pèsera sur les marges des constructeurs, mais le risque croissant d'une grève constituait la première source de préoccupation des investisseurs américains. Parallèlement, l'action Stellantis, qui dispose d'une activité internationale et d'une base d'actionnaires plus larges, est restée globalement stable.



Si le mouvement de vente semble exagéré, c'est aussi parce que la production perdue en raison de la grève pourrait, de façon contre-intuitive, faire baisser les stocks et ainsi réduire l'impact de ces coûteuses offres promotionnelles. La pénurie de semi-conducteurs a montré au secteur qu'une perte de production n'équivalait pas à une perte de bénéfices : les profits records de l'an dernier ont été dégagés en dépit d'une production de véhicules légers en Amérique du Nord inférieure de 13% à celle de 2019.



D'un point de vue moins strictement financier, ce mouvement de grève donne tout de même aux investisseurs une réelle raison de s'inquiéter pour Detroit. Le coût élevé de la main d'oeuvre a bel et bien contribué à la faillite d'une grande partie du secteur pendant la crise financière de 2007-2009. Depuis lors, Detroit a retrouvé une confortable situation d'oligopole sur le segment des grands SUV et pick-up, à la faveur d'un retournement de tendance chez les consommateurs. Mais le coût élevé de la main d'oeuvre vient fragiliser de nouveau le secteur alors que se profile la concurrence de nouveaux acteurs non syndiqués, comme Tesla et Rivian.



Au lieu de s'unir pour mieux lutter contre cette menace, les trois constructeurs historiques se battent une fois de plus contre eux-mêmes. Cette lutte intestine n'augure rien de bon pour une transition vers l'électrique qu'ils amorcent à grand peine.



-Stephen Wilmot, The Wall Street Journal



(Version française Emilie Palvadeau) ed: VLV



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September 18, 2023 08:00 ET (12:00 GMT)




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