FRANCFORT (Agefi-Dow Jones)--Pour financer l'envolée des dépenses publiques au moment où la remontée des taux d'intérêt rend l'emprunt moins intéressant, les pays riches taxent leurs contribuables comme ils ne l'avaient plus fait depuis des décennies.



D'après des données publiées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le poids des impôts rapporté au produit intérieur brut (PIB) de pays comme la France, le Japon et la Corée du Sud atteint des niveaux historiques.



Les augmentations représentent des centaines de milliards de dollars de recettes supplémentaires pour des Etats qui doivent, des priorités militaires aux politiques industrielles, faire face à de nouveaux besoins de financement.



Elles témoignent aussi du renforcement du rôle des pouvoirs publics, une tendance amplifiée par la pandémie de Covid-19 et alimentée par les enjeux de sécurité nationale dans un monde de divisions géopolitiques, par le vieillissement de la population et par la lutte contre le changement climatique.



Aux Etats-Unis, les recettes fiscales, tous niveaux d'administration confondus, frôlaient les 28% du PIB l'an passé, contre 25% en 2019. Elles se situaient ainsi au plus haut depuis 1965 - exception faite d'une brève période de consolidation budgétaire sous la présidence Clinton. A la fin des années 1990, grâce à une hausse de la fiscalité, une diminution des dépenses et une croissance forte, le pays avait réussi à transformer son déficit budgétaire en excédent.



En France et en Allemagne, les recettes fiscales ont progressé d'environ un point de pourcentage depuis 2019, pour atteindre respectivement 46% et 39% du PIB. Dans les deux pays, le ratio impôts/PIB est au plus haut depuis 1965, date de début de la série statistique. La semaine dernière, Berlin a annoncé une série d'augmentation des taxes sur l'énergie et de réduction des dépenses pour équilibrer le budget de l'an prochain.



En Asie, où taxes et dépenses sociales ont toujours été plus faibles qu'en Europe, les ratios impôts/PIB ont fortement augmenté, atteignant des records au Japon et en Corée du Sud, où ils se rapprochent des niveaux européens. Pour le Japon, les données les plus récentes datent de 2021.



Le fait que les recettes fiscales pèsent de plus en plus lourd dans le PIB signifie qu'elles progressent plus vite que la croissance et que l'Etat joue un rôle de plus en plus important dans l'économie. Cette évolution modifie aussi les dépenses des ménages et des entreprises, soulignent les économistes, puisqu'une part de plus en plus importante de leurs revenus est consacrée aux taxes, une mauvaise nouvelle pour l'activité.



Mais elle ne résulte pas toujours d'un relèvement des taux d'imposition. Beaucoup de pays profitent en effet de l'inflation qui, en faisant grossir prix et salaires, fait monter les contribuables d'une tranche d'imposition. Quoi qu'il en soit, les experts préviennent que des augmentations au sens strict du terme sont à prévoir dans un certain nombre d'économies avancées, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni.



Rôle croissant des Etats



La tendance haussière des recettes fiscales devrait se poursuivre, estime Kurt van Dender, chargé des statistiques fiscales à l'OCDE, parce que l'emprunt se renchérit au moment où les besoins en dépenses publiques - des budgets militaires aux soins apportés à une population vieillissante en passant par le coût de la transition énergétique - augmentent.



"L'Etat joue un rôle plus important dans l'économie et cela semble difficile à changer", résume-t-il.



Dans les économies avancées, les pouvoirs publics dépensent environ deux points de pourcentage de plus - en proportion du PIB - qu'ils ne le faisaient en 2019, soit environ 41% contre 39% avant la pandémie, révèlent des données du Fonds monétaire international (FMI).



D'après le FMI, les recettes publiques devraient augmenter à environ 32% du PIB en 2027 aux Etats-Unis, contre 30% en 2019. Les recettes fiscales fédérales ont, elles, reculé par rapport à l'exercice 2022. Pour le bureau du budget du Congrès (CBO), elles devraient repartir à la hausse puisque les allègements fiscaux mis en place par Donald Trump expireront après 2025, même si les républicains jurent d'empêcher toute augmentation des taxes et que les démocrates refusent de taxer davantage les contribuables qui gagnent moins de 400.000 dollars par an. Sauf à ce que les démocrates s'emparent à la fois des deux chambres du Congrès et de la présidence, la fiscalité américaine ne devrait pas être durcie.



Pour se financer, les Etats font aussi largement appel aux marchés obligataires : d'après les chiffres du FMI, dans les économies avancées, la dette publique représente environ 112% du PIB, contre 104% en 2019, et devrait progresser. Le problème, c'est qu'avec la remontée des taux d'intérêt, emprunter et refinancer la dette existante coûtent plus cher.



D'après une analyse des données du FMI réalisée par le cabinet de conseil Teal Insights, la dette des Etats va leur coûter 2.000 milliards de dollars cette année, soit une hausse de 10% par rapport à 2022 qui s'explique par la remontée des taux d'intérêt. D'ici à 2027, elle pourrait dépasser les 3.000 milliards de dollars.



"L'ère des taux ultra-bas semble révolue", estime Dirk Schumacher, économiste chez Natixis.



Conséquence : un certain nombre de pays riches qui étaient sortis de la crise sanitaire avec des dettes et déficits plus importants n'ont d'autres choix que durcir leur fiscalité.



Le besoin d'argent des pouvoirs publics traduit un changement de cap dans un Occident dominé, depuis les années 1980, par une volonté de réduction du soutien de l'Etat aux entreprises, d'allègement de la réglementation de la concurrence et de libéralisation des échanges.



Dans la zone euro, les dépenses publiques représenteront cette année la moitié du PIB, selon le FMI. Aux Etats-Unis, les dépenses des différents Etats représentent 38% du PIB, un pourcentage plus élevé qu'avant la pandémie.



Nouveaux coûts



Et de nouveaux coûts émergent. La prise en charge des personnes âgées et le financement des énergies vertes coûteront environ trois points de PIB par an aux économies avancées, estime Capital Economics. "Dans un monde de croissance faible et de progression des taux d'intérêt et de la dette, la capacité à financer des déficits importants est limitée", souligne Neil Shearing, économiste en chef du cabinet londonien.



Selon le FMI, l'Italie de Giorgia Meloni affichera un déficit budgétaire équivalant à environ 5% du PIB cette année et 4% l'an prochain. Très peu endettée, l'Allemagne va quand même devoir augmenter ses taxes pour financer d'ambitieux projets militaires et industriels puisque la justice lui a interdit d'utiliser le solde des fonds prévus pour la crise sanitaire.



Au Japon, les dépenses sociales ont fortement augmenté ces dernières années et Tokyo veut aussi muscler ses dépenses militaires. Deuxième économie mondiale, la Chine s'interroge également sur un relèvement des taxes dans un contexte d'envolée de la dette.



Les Etats-Unis, qui figurent parmi les pays riches dans lesquels la fiscalité est la moins forte, ont davantage de marge de manœuvre pour relever les taxes, mais la tâche est délicate du point de vue politique. En Chine, d'après les données de l'OCDE, les recettes fiscales ne représentent que 21% du PIB.



Dans les pays d'Europe où la fiscalité est élevée, la meilleure solution passe peut-être par une réduction des dépenses, estime Dirk Schumacher. "Les taxes ne peuvent grimper indéfiniment", souligne l'économiste de Natixis. D'autant qu'une fiscalité trop élevée risque de pousser les entreprises à aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs et de décourager les gens de travailler.



-Tom Fairless, The Wall Street Journal



( Richard Rubin a contribué à cet article)



(Version française Marion Issard) ed: VLV



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December 20, 2023 04:39 ET (09:39 GMT)




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