Bruno de Roulhac,
L'Agefi
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Une fin de saison des assemblées générales
françaises plutôt mouvementée. Des actionnaires actifs mécontents
ont décidé de faire entendre leur voix aux assemblées générales de
Micropole et d'Erytech le 23 juin, de Neolife le 26 juin, d'Atos le
28 juin et de Prologue le 30 juin. Rien de plus normal en bonne
démocratie actionnariale. Toutefois, selon les sociétés, les
réponses apportées et les débats publics à coups de communiqués ou
d'interventions dans la presse ont de quoi étonner. Cinq dossiers.
Cinq cas d'espèce. Avec toutefois des points communs.
Atos, dossier de place
Le dossier le plus emblématique reste celui d'Atos. Depuis que
Sycomore AM a demandé début juin la révocation de Bertrand Meunier,
président du conseil, d'Aminata Niane et de Vernon Sankey de leur
mandat d'administrateur, et la nomination de Leo Apotheker comme
administrateur, le ton est rapidement monté. Présent depuis plus de
15 ans au conseil, Bertrand Meunier "a de ce fait une part de
responsabilité importante dans la crise de gouvernance", selon la
société de gestion. Quant aux deux autres administrateurs, ils ont
perdu leur indépendance, conformément au code Afep-Medef, en raison
d'une ancienneté de plus de 12 ans.
Le conseil d'Atos s'est rapidement prononcé à l'unanimité contre
ces résolutions contestataires, estimant même que la nomination de
Leo Apotheker "pourrait nuire à la réputation" de l'entreprise.
Puis, les uns et les autres se sont mis à s'exprimer publiquement,
par voie de communiqués pour Atos, d'une page de lettre ouverte que
s'est offerte Sycomore AM dans le journal Les Echos, et de prises
de parole de certains administrateurs d'Atos ou encore du candidat
Leo Apotheker, conduisant l'entreprise à parler de "tentatives de
déstabilisation et de dénigrement".
Début juin, lors d'une réunion Sfaf, Atos était représenté par...
Jean-Pierre Mustier, l'ancien banquier d'UniCredit et de Société
Générale, coopté au conseil de la SSII depuis moins d'un mois. Un
choix surprenant, d'autant que, selon plusieurs sources, son
principal message se résumait à la défense du président Bertrand
Meunier, tout en contestant fortement la stratégie et la
rémunération de Thierry Breton, qui a dirigé Atos de 2008 à 2019.
"Le président peut difficilement parler, car on pourrait croire
qu'il se défend personnellement, au lieu d'agir au nom de la
société", confie un spécialiste de la gouvernance. "Mais,
indéniablement, le dialogue pourrait se passer mieux et de manière
plus constructive", poursuit-il.
Atos semble en effet peiner à trouver un interlocuteur unique pour
s'exprimer et représenter le conseil. Le code Afep-Medef confie
plutôt cette mission au président ou à l'administrateur référent.
Le 4 juin dernier, tardivement, Atos a nommé Elizabeth Tinkham,
présidente du comité de nomination et de gouvernance, en tant
qu'administrateur indépendant référent.
Un progrès obtenu sous la pression de Sycomore AM, qui réclamait le
rétablissement de la fonction d'administrateur référent
indépendant. Toutefois, "le sujet n'est pas de gouvernance ou de
dialogue actionnarial, mais les conséquences de l'ère Thierry
Breton, comme auparavant chez France Télécom et chez Thomson",
confie un expert, anticipant tôt ou tard une reprise par un autre
acteur français, comme Capgemini, à l'instar de la reprise de
Credit Suisse par UBS.
Pour sa part, Sycomore AM, actionnaire d'Atos depuis 2016, doit
faire face à la chute de 75% du titre en dix ans et s'active auprès
des actionnaires pour les convaincre, notamment en répondant
publiquement au rapport de la société de conseil aux actionnaires
Glass Lewis. En effet, Proxinvest, une filiale de Glass Lewis,
soutient la nomination de Leo Apotheker, mais ni ISS, ni Glass
Lewis. Aucune des trois agences de conseil en vote ne recommande
les révocations d'administrateurs. Sycomore AM, qui revendique 3,2%
du capital dans le cadre d'une action de concert, aura l'occasion
de s'exprimer lors de l'AG du 28 juin, ayant demandé un point à
l'ordre du jour. Mais la plupart des investisseurs votent dès cette
semaine. Alors que le capital d'Atos est totalement ouvert, le
suspense demeure.
"Cette agressivité, une tension qui monte vite, avec parfois des
attaques personnelles, est une spécificité française", confie un
spécialiste de la gouvernance. "A la différence d'autres pays, les
sociétés françaises n'ont pas encore l'habitude de l'irruption
d'activistes", ajoute-t-il. D'autres dossiers l'illustrent.
Akkadian multiplie les actions judiciaires contre Erytech
Dans un contexte de fusion entre la biopharma Erytech et la biotech
Pherecydes, le fonds Akkadian s'est invité au capital d'Erytech,
contestant la valorisation de la fusion. Là encore, les échanges
écrits ont fusé.
Akkadian "dénonce l'abus de pouvoirs caractérisé de la direction
d'Erytech avec la complicité active d'un groupe d'actionnaires de
Pherecydes" et invite la société à une stratégie alternative à
cette fusion. Pour sa part, Erytech parle de "désinformation" et
"d'arguments trompeurs", ajoutant qu'Akkadian "n'a pas présenté
d'autre option valable". Puis, le dossier a pris une allure
judiciaire. Si Akkadian n'a pas réussi à faire reporter par un juge
lyonnais le vote sur la fusion lors de l'AG d'Erytech, il a obtenu
la nomination d'un expert judiciaire pour se prononcer sur la
parité de fusion, à ses frais.
La tension ne retombe pas avec un autre rebondissement mardi
dernier. Erytech a annoncé qu'Akkadian avait de nouveau saisi les
tribunaux en vue de demander l'annulation de l'augmentation de
capital - résultant d'apports en nature d'actions de Pherecydes en
contrepartie d'actions d'Erytech - du 15 mai dernier. Erytech se
dit confiant face à cette "procédure infondée qui apparaît vouée à
l'échec".
Le ton monte entre Neolife et son premier actionnaire Capriona
Le ton monte aussi de jour en jour chez le fabricant
d'éco-matériaux Neolife. Son principal actionnaire, Capriona,
holding familiale de Pascal Leandri, avec 16,4% du capital le 20
juin, a déposé début juin 11 projets de résolutions, afin de
révoquer l'ensemble des membres du conseil de surveillance ainsi
que le président du directoire, et de nommer six nouveaux membres
du conseil de surveillance. Autant de projets de résolutions non
agréés par Neolife qui invite les actionnaires à ne pas les
approuver.
La direction est allée plus loin en publiant une lettre aux
actionnaires défendant son bilan et en attaquant Capriona, qualifié
d'"investisseur vautour sans aucune vision métier" dont la "seule
intention" est de "prendre le contrôle" de la société. En même
temps, la société a retiré les résolutions permettant l'émission
d'instruments dilutifs de type Ocabsa, afin de rassurer certains
actionnaires.
En fin de semaine dernière, en réponse à une lettre de Capriona aux
actionnaires de Neolife et à une lettre ouverte à Patrick Marché,
cofondateur et président du conseil de surveillance et ancien
président du directoire, qualifié de "Gérard Majax de la finance
lyonnaise", le directoire lui a brièvement répondu dans un courrier
face à cette "nouvelle tentative de déstabilisation". Neolife fait
aussi valoir deux courriers de soutien de CJ Plast, partenaire
industriel, et de LJ Solutions, partenaire commercial. Lundi,
Neolife a annoncé que Caprioni et Pascal Leandri avaient franchi le
seuil de 15% du capital et des droits de vote, tandis que Novali,
de concert avec Serge Mathieu, actionnaires "historiques", a
dépassé le seuil de 5%.
Pendant ce temps, Patrick Marché a acquis indirectement près de
470.000 titres sur le marché depuis le 13 juin, selon les
déclarations remises à l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Dans un courrier de début de semaine, il reproche à Pascal Leandri
"une belle prise de contrôle rampante sans paiement de prime" et de
ne proposer "aucun axe de développement". C'est "le néant absolu",
résume-t-il. Dans un nouveau communiqué, Capriona a renouvelé sa
"confiance" aux équipes opérationnelles de Neolife dirigées par
Marie-Claude Berland, indiquant son intention de réaliser "un audit
complet de la société et une revue stratégique".
Prologue attend un "projet concret" d'Asamis
Chez Prologue, l'Association des actionnaires minoritaires de
sociétés cotées (Asamis), revendique 11% du capital. Elle demande
la révocation du PDG, Georges Seban, 95 ans, et de deux
administrateurs, ainsi que la nomination de deux nouveaux
administrateurs "ayant une expérience de dirigeant d'entreprise
confirmée". Des projets de résolutions non agréés par le conseil
d'administration de Prologue, qui recommande de voter contre.
Ce dernier estime que les trois révocations porteraient "atteinte à
l'intérêt de la société, de ses salariés et de ses actionnaires, en
déstabilisant son organisation et sa gestion", précise son
communiqué. En outre, la société relève qu'"aucun projet concret
n'est proposé" par l'Asamis.
Des administrateurs indépendants demandés chez Micropole
Chez Micropole, NextStage AM et Dorval AM, détenant de concert
20,6% du capital et 16,9% des droits de vote, ont demandé la
nomination de deux administrateurs indépendants, afin de renforcer
le conseil d'administration "tant dans sa dimension d'indépendance
que d'expertise", et la suppression des droits de vote double en
vue de "promouvoir l'équité entre tous les actionnaires". Là aussi,
le conseil de Micropole recommande de ne pas soutenir ces trois
résolutions.
A ces cinq dossiers au long cours est venu s'ajouter jeudi matin le
fabricant d'étiquettes électroniques SES-imagotag, dont l'assemblée
générale des actionnaires est programmée vendredi. A la veille de
cet événement, les fonds Gotham City Research et General Industrial
Partners (GIP) ont émis une série de soupçons et d'accusations
portant à la fois sur la comptabilité de SES-imagotag, ses liens
avec son premier actionnaire - le groupe chinois BOE Technology -
et la teneur des contrats de vente annoncés récemment avec le
distributeur américain Walmart.
Les fonds ont dévoilé leur offensive sur le réseau social Twitter
et promettent de publier prochainement un deuxième rapport. De quoi
entretenir la flamme activiste au-delà de la saison des assemblées
générales.
-Bruno de Roulhac, L'Agefi ed: VLV
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June 22, 2023 05:53 ET (09:53 GMT)
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