Le marché sous-estime les efforts de décarbonisation de Total et Shell - Plus Inter
06 Janvier 2020 - 9:23AM
Dow Jones News
Rochelle Toplensky,
The Wall Street Journal
LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Si les données numériques sont le nouvel
or noir, le pétrole pourrait quant à lui connaître le sort du
tabac.
Comme les cigarettiers avant eux, les producteurs de pétrole se
trouvent confrontés à une lame de fond encouragée par les pouvoirs
publics et visant à faire sensiblement baisser la demande pour
leurs produits. Partout dans le monde, les gouvernements s'engagent
à décarboner les transports et l'économie en général dans l'optique
de freiner le changement climatique.
Voitures, poids lourds, trains, avions et bateaux sont à l'origine
d'un tiers environ des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Jusqu'à récemment, leurs fournisseurs de carburant s'efforçaient
surtout de trouver les moyens de produire davantage. Or la grande
question qui se pose actuellement consiste plutôt à savoir quand la
demande atteindra son pic, et non quand les ressources de pétrole
arriveront à épuisement.
Les majors pétrolières semblent aborder cette question sous deux
angles. Certaines, comme Royal Dutch Shell et Total, cherchent des
solutions pour se transformer en producteurs d'énergie à faibles
émissions de carbone. D'autres, comme Exxon Mobil, préfèrent s'en
tenir à leur spécialité : l'extraction pétrolière.
La route vers la décarbonisation sera longue
Les deux approches se défendent. La tendance est clairement à la
décarbonisation, mais rien ne garantit que la révolution climatique
sera menée à son terme. Pour que le monde change, responsables
politiques, industriels et consommateurs devront faire des choix
difficiles. Il faudra mettre des centaines de milliards de dollars
sur la table pour transformer les véhicules, les stations-service,
la production, les réseaux et le stockage d'électricité, de même
que pour rééquiper les sites de production et former les salariés
du secteur des énergies fossiles aux nouvelles sources d'énergie.
La transition s'annonce particulièrement ardue pour le secteur
aéronautique.
Le scénario de développement durable élaboré par l'Agence
internationale de l'Energie (AIE) prévoit un pic de la demande de
brut en 2020, à 97 millions de barils par jour, et une réduction de
la demande à 73% des niveaux constatés en 2017 d'ici à 2040. Un
autre scénario, moins ambitieux, prévoit en revanche un pic de la
demande d'or noir en 2040, à 106 millions de barils par jour, ce
qui représente une hausse de 12% par rapport aux niveaux de 2017.
Les deux scénarios, ainsi que beaucoup d'autres, sont
plausibles.
Les prévisions mondiales doivent tenir compte d'importantes
disparités régionales. La croissance démographique et
l'augmentation de la prospérité en Afrique et en Asie se traduiront
par une hausse des émissions. L'Europe s'est pour sa part engagée à
les réduire drastiquement, tandis que les Etats-Unis ont de leur
côté officialisé leur retrait de l'Accord de Paris et relancé
l'industrie du charbon, même si certains Etats et certaines villes
ont promis de réduire leurs émissions.
Ces divergences rendent les prédictions difficiles, mais c'est un
facteur dont les majors pétrolières ont l'habitude. Depuis des
décennies, elles construisent des projets complexes et onéreux tout
en jonglant avec une mosaïque changeante d'exigences réglementaires
et politiques. Leurs activités couvrent désormais une palette qui
va de la découverte de nouvelles réserves pétrolières à la vente de
café, en passant par les stations de lavage de voitures. La plupart
de ces entreprises disposent en outre de solides bilans et
cash-flows, assainis par un retour à une rigoureuse maîtrise des
coûts, qui leur assurent une trésorerie suffisante pour
investir.
Des expérimentations peu récompensées
Le développement de projets expérimentaux à faibles émissions de
carbone permet aux grandes compagnies pétrolières d'acquérir de
nouvelles compétences et d'influer sur la future évolution des
marchés et de la réglementation. Dans le type de réseau énergétique
intelligent et connecté qui semble à même de pouvoir étancher la
soif mondiale de pétrole, les liens avec le consommateur final
seront de plus en plus importants. Certains investissements dans
ces projets se feront à perte, mais c'est aussi le cas lorsque les
forages d'exploration tombent sur des puits secs. Les actionnaires,
eux, doivent surveiller en priorité toutes les mesures
annonciatrices d'un développement plus poussé de ces projets.
Pour l'heure, les investisseurs ne semblent pas prêts à récompenser
les majors pétrolières pour ce genre d'expériences. Les actions
Shell et Total présentent une décote par rapport leurs concurrentes
américaines.
Cette réaction peut sembler rationnelle à court et même à long
terme : les fabricants de cigarettes ont prouvé qu'il était
possible d'accroître ses bénéfices dans un marché en baisse. Reste
que le précédent offert par Big Tobacco, qui a perdu une bonne
partie de sa valorisation boursière au cours des deux dernières
années sous l'effet d'une nouvelle vague réglementaire aux
Etats-Unis, montre également à quelle vitesse les investisseurs
peuvent retourner leur veste en cas de durcissement de la
réglementation.
Même si les investisseurs ne le réalisent pas encore, les
compagnies pétrolières qui prennent au sérieux les objectifs
mondiaux de décarbonisation ont peut-être trouvé la clé de leur
survie.
-Rochelle Toplensky, The Wall Street Journal
(Version française Emilie Palvadeau) ed: VLV - ECH
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