Veolia et Suez se déchirent sur le droit boursier - DJ Plus
16 Novembre 2020 - 9:27AM
Dow Jones News
Olivier Pinaud,
L'Agefi
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Six semaines après l'acquisition du bloc
de 29,9% auprès d'Engie, Veolia et Suez n'ont pas avancé d'un
pouce. En dehors de quelques contacts informels, aucun début de
dialogue ne s'est noué entre deux camps, qui s'accusent
mutuellement de bloquer la situation et de violer le droit.
Veolia a ainsi prévu de saisir dans les prochains jours le tribunal
de commerce de Nanterre pour tenter de faire sauter la fondation
néerlandaise qui bloque toute cession de la division eau France de
Suez pendant quatre ans, rendant ainsi impossible sa reprise par
Méridiam, remède indispensable à Veolia pour espérer obtenir le feu
vert des autorités de la concurrence.
Droit boursier "renversé"
"Veolia renverse totalement le droit boursier", conteste de son
côté le camp de Suez. Dans sa ligne de mire, le concept d'"offre
publique contre accord du conseil" avancé par Veolia il y a une
dizaine de jours. Alors qu'il avait initialement indiqué qu'il
lancerait une offre publique dès l'accord des autorités de la
concurrence, ce qui supposait la désactivation de la fondation,
Veolia promet désormais de lancer une offre publique dès lors que
le conseil d'administration de Suez aura donné son accord.
"Le principe de l'offre publique d'achat conditionnée à un accord
n'existe pas dans le droit boursier français. Seul le dépôt auprès
de l'Autorité des marchés financiers (AMF) d'un projet garanti par
des banques présentatrices permet de qualifier une offre publique",
explique à L'Agefi Nicolas Molfessis, professeur de droit à
l'université Paris Assas, qui est consulté par Suez sur les
principaux aspects de la situation actuelle.
Le règlement de l'AMF à l'épreuve
"Dans une opération amicale, l'acheteur peut également s'engager en
signant un contrat avec le conseil d'administration de la cible, ce
qui conduit alors à engager une période de pré-offre. Le plan de
Veolia qui consiste à forcer la position du conseil
d'administration de Suez (voire à la changer) avant toute offre
garantie me semble en revanche au cas présent tout à fait
irrégulier", indique Nicolas Molfessis.
L'AMF suit attentivement un dossier qui met à l'épreuve son
réglement général mais n'a rien imposé à ce stade. Elle a
simplement ouvert une période de pré-offre depuis le 6 octobre, au
lendemain de l'annonce de l'acquisition du bloc de 29,9%, mais
selon Suez cela n'apporte aucune garantie à ses actionnaires qu'ils
seront traités dans les mêmes conditions qu'Engie. Pour cela, le
groupe avait demandé à l'AMF l'ouverture d'une pré-offre dès
l'annonce du projet de Veolia fin août. La demande lui a été
refusée. Suez a fait appel de la décision.
"Une intention, même renforcée, reste une intention. Rien n'empêche
Veolia de modifier son offre, son prix, son éventuelle composante
en actions ou n'importe quel autre de ses termes", s'inquiète un
proche de Suez, soupçonnant Veolia d'avoir tout fait pour acheter
le bloc de 29,9% auprès d'Engie avec l'idée de réviser par la suite
les conditions offertes aux autres actionnaires.
"Suez gagne du temps"
Pour lever ce flou, le conseil d'administration de Suez demande à
Veolia de lui fournir un projet d'offre en bonne et due forme,
au-delà de la seule déclaration d'intention.
De quoi faire lever les yeux au ciel dans le camp de Veolia. "Suez
fait tout pour gagner du temps", critique un proche de Veolia.
"Philippe Varin (le président du conseil de Suez, NDLR) nous avait
dit que nous pourrions discuter calmement une fois le bloc acheté.
C'est pourquoi nous avions conditionné notre offre à un accord,
également pour répondre à 'l'amicalité' demandée par le ministre de
l'Economie. Depuis, le conseil d'administration de Suez refuse tout
dialogue sur un accord potentiel et empêche donc par la même tout
dépôt d'offre formel", poursuit cette source. "Mais nous savons
très bien sortir de cette situation", assure-t-elle, sans vouloir
en dire plus sur la parade envisagée.
La contre-attaque devrait viser le conseil d'administration de
Suez. Veolia pourrait s'inspirer de la récente victoire en
assemblée générale de Léon Bressler et de Xavier Niel chez Unibail
pour entrer au conseil et dissoudre la fondation néerlandaise. "Le
conseil de Suez pourrait très bien la rendre irrévocable avant
d'être destitué", prévient un proche du groupe. "Comment le droit
français pourrait-il alors accepter qu'un groupe n'ait plus le
droit de disposer de sa principale filiale ? Cette menace est un
leurre", rétorque le camp de Veolia, promettant une nouvelle passe
d'armes judiciaire.
Le blocage, qui risque de durer encore plusieurs mois, a remis
Ardian et Antin Infrastructure Partners dans la course. La semaine
dernière, les deux fonds ont reconnu continuer à regarder le
dossier Suez et son évolution. Difficile d'imaginer les fonds
lancer une offre concurrente. Celle-ci serait vouée à l'échec,
Veolia n'ayant pas l'intention de revendre son bloc de 29,9%. En
revanche, en continuant à travailler sur le dossier, Ardian et
Antin peuvent espérer récupérer des actifs de Suez ou de Veolia si
des cessions sont nécessaires pour permettre un rapprochement entre
les deux groupes. A supposer que la guerre de tranchées cesse un
jour.
-Olivier Pinaud, L'Agefi ed: VLV
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