Olivier Pinaud,



L'Agefi





PARIS (Agefi-Dow Jones)--Six semaines après l'acquisition du bloc de 29,9% auprès d'Engie, Veolia et Suez n'ont pas avancé d'un pouce. En dehors de quelques contacts informels, aucun début de dialogue ne s'est noué entre deux camps, qui s'accusent mutuellement de bloquer la situation et de violer le droit.



Veolia a ainsi prévu de saisir dans les prochains jours le tribunal de commerce de Nanterre pour tenter de faire sauter la fondation néerlandaise qui bloque toute cession de la division eau France de Suez pendant quatre ans, rendant ainsi impossible sa reprise par Méridiam, remède indispensable à Veolia pour espérer obtenir le feu vert des autorités de la concurrence.



Droit boursier "renversé"



"Veolia renverse totalement le droit boursier", conteste de son côté le camp de Suez. Dans sa ligne de mire, le concept d'"offre publique contre accord du conseil" avancé par Veolia il y a une dizaine de jours. Alors qu'il avait initialement indiqué qu'il lancerait une offre publique dès l'accord des autorités de la concurrence, ce qui supposait la désactivation de la fondation, Veolia promet désormais de lancer une offre publique dès lors que le conseil d'administration de Suez aura donné son accord.



"Le principe de l'offre publique d'achat conditionnée à un accord n'existe pas dans le droit boursier français. Seul le dépôt auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) d'un projet garanti par des banques présentatrices permet de qualifier une offre publique", explique à L'Agefi Nicolas Molfessis, professeur de droit à l'université Paris Assas, qui est consulté par Suez sur les principaux aspects de la situation actuelle.



Le règlement de l'AMF à l'épreuve



"Dans une opération amicale, l'acheteur peut également s'engager en signant un contrat avec le conseil d'administration de la cible, ce qui conduit alors à engager une période de pré-offre. Le plan de Veolia qui consiste à forcer la position du conseil d'administration de Suez (voire à la changer) avant toute offre garantie me semble en revanche au cas présent tout à fait irrégulier", indique Nicolas Molfessis.



L'AMF suit attentivement un dossier qui met à l'épreuve son réglement général mais n'a rien imposé à ce stade. Elle a simplement ouvert une période de pré-offre depuis le 6 octobre, au lendemain de l'annonce de l'acquisition du bloc de 29,9%, mais selon Suez cela n'apporte aucune garantie à ses actionnaires qu'ils seront traités dans les mêmes conditions qu'Engie. Pour cela, le groupe avait demandé à l'AMF l'ouverture d'une pré-offre dès l'annonce du projet de Veolia fin août. La demande lui a été refusée. Suez a fait appel de la décision.



"Une intention, même renforcée, reste une intention. Rien n'empêche Veolia de modifier son offre, son prix, son éventuelle composante en actions ou n'importe quel autre de ses termes", s'inquiète un proche de Suez, soupçonnant Veolia d'avoir tout fait pour acheter le bloc de 29,9% auprès d'Engie avec l'idée de réviser par la suite les conditions offertes aux autres actionnaires.



"Suez gagne du temps"



Pour lever ce flou, le conseil d'administration de Suez demande à Veolia de lui fournir un projet d'offre en bonne et due forme, au-delà de la seule déclaration d'intention.



De quoi faire lever les yeux au ciel dans le camp de Veolia. "Suez fait tout pour gagner du temps", critique un proche de Veolia. "Philippe Varin (le président du conseil de Suez, NDLR) nous avait dit que nous pourrions discuter calmement une fois le bloc acheté. C'est pourquoi nous avions conditionné notre offre à un accord, également pour répondre à 'l'amicalité' demandée par le ministre de l'Economie. Depuis, le conseil d'administration de Suez refuse tout dialogue sur un accord potentiel et empêche donc par la même tout dépôt d'offre formel", poursuit cette source. "Mais nous savons très bien sortir de cette situation", assure-t-elle, sans vouloir en dire plus sur la parade envisagée.



La contre-attaque devrait viser le conseil d'administration de Suez. Veolia pourrait s'inspirer de la récente victoire en assemblée générale de Léon Bressler et de Xavier Niel chez Unibail pour entrer au conseil et dissoudre la fondation néerlandaise. "Le conseil de Suez pourrait très bien la rendre irrévocable avant d'être destitué", prévient un proche du groupe. "Comment le droit français pourrait-il alors accepter qu'un groupe n'ait plus le droit de disposer de sa principale filiale ? Cette menace est un leurre", rétorque le camp de Veolia, promettant une nouvelle passe d'armes judiciaire.



Le blocage, qui risque de durer encore plusieurs mois, a remis Ardian et Antin Infrastructure Partners dans la course. La semaine dernière, les deux fonds ont reconnu continuer à regarder le dossier Suez et son évolution. Difficile d'imaginer les fonds lancer une offre concurrente. Celle-ci serait vouée à l'échec, Veolia n'ayant pas l'intention de revendre son bloc de 29,9%. En revanche, en continuant à travailler sur le dossier, Ardian et Antin peuvent espérer récupérer des actifs de Suez ou de Veolia si des cessions sont nécessaires pour permettre un rapprochement entre les deux groupes. A supposer que la guerre de tranchées cesse un jour.





-Olivier Pinaud, L'Agefi ed: VLV



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November 16, 2020 03:07 ET (08:07 GMT)




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