Carol Ryan,
The Wall Street Journal
LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Certaines valeurs dites "du péché"
semblent être plus tolérables que d'autres. Le penchant des
investisseurs pour l'alcool plutôt que pour la cigarette constitue
une énigme. Cette inclinaison ne semble pas sur le point de se
dissiper.
Le secteur du tabac illustre la rapidité avec laquelle des thèmes
d'investissement très prisés peuvent tourner au vinaigre lorsque
des régulateurs décident de sévir contre des produits de
consommation addictifs. Voilà cinq ans, les grandes valeurs du
tabac se négociaient en moyenne à 19 fois les bénéfices
prévisionnels et avaient généré un rendement annuel total pour
leurs actionnaires supérieur à 20% depuis 2000, soit plus de quatre
fois la moyenne du S&P 500. Depuis, elles ont plongé et ne
valent plus que 11 fois les bénéfices attendus alors qu'elles ont
été pénalisées par la perspective de lois plus strictes, dont les
récentes initiatives visant à interdire les cigarettes au menthol
aux Etats-Unis.
Un tel scénario pourrait-il se produire avec l'alcool ? Prendre
quelques verres n'est pas aussi nocif pour la santé que fumer et il
est clair que les fabricants de tabac commercialisent un produit
plus toxique. Chaque année, huit millions de personnes décèdent de
maladies provoquées par la cigarette à travers le monde. Mais
l'alcool pose également un grave problème puisqu'il est responsable
de trois millions de décès par an, selon l'Organisation mondiale de
la santé (OMS).
Des coûts socio-économiques colossaux
Si l'on intègre l'ensemble des coûts sociaux associés aux deux
produits, notamment la criminalité, les accidents de la route et la
perte de productivité au travail, l'écart de dangerosité entre le
tabac et l'alcool se réduit. Les problèmes engendrés par le tabac
coûtent 1,8% du produit intérieur brut (PIB) mondial, selon l'OMS.
Une étude de l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) a révélé que la consommation excessive d'alcool
entraînait un repli de 1,6% du produit intérieur brut (PIB).
Les investisseurs traitent actuellement les valeurs liées à
l'alcool comme si elles étaient nettement moins nocives que le
tabac. Sur la base d'une analyse de fonds détenant au moins 200
participations, seules 2,5% des gestions excluent les producteurs
d'alcool de leurs portefeuilles, contre 11,5% pour les fabricants
de cigarettes, selon les estimations du cabinet d'analyse de
données ESG Ethos ESG. D'autres secteurs d'activité faisant
polémique, tels que les jeux d'argent et la pornographie, se
classent à mi-chemin entre les deux.
Et lorsqu'il s'agit de valoriser les actions du secteur de
l'alcool, plus le breuvage est fort, mieux c'est. Les titres des
producteurs de breuvages les plus alcoolisés sont valorisés à un
prix supérieur à ceux des entreprises produisant des alcools moins
forts, comme la bière, en raison de la croissance plus soutenue des
premiers.
Les grands groupes de spiritueux, tels que Diageo, le producteur de
la tequila Casamigos, et Rémy Cointreau, se négocient en moyenne à
26 fois les bénéfices prévisionnels, contre 18 fois pour les
brasseurs présents à l'échelle mondiale. Cette situation est en
contradiction avec la manière dont de nombreux gouvernements
perçoivent l'alcool fort sur le plan fiscal. Aux Etats-Unis, par
exemple, la taxe fédérale sur les spiritueux s'élève à 13,50
dollars par gallon (3,8 litres), contre seulement 0,58 dollar par
gallon pour la bière, selon des statistiques fournies par The Tax
Foundation.
Une consommation moins stigmatisée
Le fait de consommer de l'alcool est généralement moins stigmatisé
que celui de fumer parmi les plus grandes économies du monde, ce
qui peut expliquer pourquoi les deux secteurs sont appréhendés
différemment. L'activité économique et l'emploi générés par la
consommation d'alcool dans les bars et les restaurants n'ont pas de
véritable équivalent dans le secteur du tabac. De plus, les
cigarettiers ont envenimé leurs relations avec les régulateurs en
tentant de dissimuler l'impact du tabagisme sur la santé publique
pendant des décennies.
Faute d'un virage culturel dans la façon dont nos sociétés
perçoivent la consommation d'alcool, le risque qu'un plus grand
nombre d'investisseurs se délestent des titres liés à ce secteur
semble faible. De fait, une taxation plus élevée de l'alcool
représente une menace plus réaliste. L'OMS recommande aux autorités
d'imposer des taxes représentant au moins 75% du coût total d'un
paquet de cigarettes. La pression exercée sur l'alcool est plus
légère : selon une analyse de Jefferies, les taxes représentent en
moyenne 28% des prix de vente au détail dans les économies
développées.
En février, l'OMS a lancé une initiative visant à encourager les
pays d'Europe, région du monde où la consommation d'alcool par
personne est la plus élevée, à augmenter les droits qu'ils
perçoivent sur les boissons alcoolisées. L'organisation estime
qu'une taxe minimale de 15% sur le prix de vente au détail par
unité réduirait d'environ un dixième les décès liés à l'alcool en
Europe.
Une telle initiative pourrait avoir des répercussions sur les
producteurs de boissons exposés à des marchés tels que la France et
l'Allemagne, où les taxes sur la bière ne dépassent pas 7%. Le
marché russe offre un exemple frappant de ce qui peut arriver
lorsque les taxes augmentent. Les marges bénéficiaires du secteur
de la bière ont chuté de 16% en 2010 à 9% environ dix ans plus tard
en Russie, le bond des taxes y ayant rendu les articles moins
abordables, souligne Bernstein.
Heureusement pour les investisseurs, dans la plupart des pays, les
responsables politiques éprouvent davantage de difficultés à
augmenter les taxes sur l'alcool que sur le tabac. D'une part,
augmenter les prix a un impact sur une population plus nombreuse -
sept adultes américains sur dix ont déclaré avoir consommé de
l'alcool au cours de l'année écoulée dans la dernière enquête du
National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism, alors que la
prévalence du tabagisme aux Etats-Unis est tombée à seulement
13%.
Une industrie plus habile avec les régulateurs
Les producteurs d'alcool se sont également montrés plus habiles que
les cigarettiers dans leurs relations avec les instances de
réglementation et consacrent une partie de leurs budgets
publicitaires à la promotion d'une consommation responsable. Le
fait de se lancer dans les produits non alcoolisés, ainsi que la
tendance à la "premiumisation", qui induit que les consommateurs
sur les marchés matures consomment des boissons plus coûteuses mais
en moindre quantité, devraient contribuer à préserver ce secteur
des critiques les plus virulentes. Le groupe Anheuser-Busch InBev,
qui brasse la bière Budweiser, vise à ce que, d'ici à 2025, un
cinquième de toutes les boissons qu'il commercialise soient à
faible teneur en alcool voire sans alcool.
Des colosses du secteur des boissons comme AB InBev et Heineken
admettent que la consommation immodérée d'alcool constitue l'une
des principales menaces pour leurs activités. Jusqu'à présent, ils
gèrent correctement ces risques. Cela ne se reflète peut-être pas
actuellement dans leur valorisation, mais les producteurs d'alcool
ont davantage de points en commun avec les cigarettiers que ne
veulent l'admettre les investisseurs.
-Carol Ryan, The Wall Street Journal
(Version française Eric Chalmet) ed: VLV
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May 31, 2022 05:22 ET (09:22 GMT)
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