Pierre-Jean Lepagnot,
Agefi-Dow Jones
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Idéalement situé à quelques encablures de
l'entrée principale, le stand de l'avionneur public chinois
Commercial Aircraft Corporation of China (Comac) s'annonce comme
l'un des plus courus de l'édition 2023 du Salon international de
l'aéronautique et de l'espace du Bourget, qui débutera le 19
juin.
Professionnels et amateurs veulent en savoir plus sur le C919, le
premier moyen-courrier "made in China", concurrent désigné de
l'A320neo d'Airbus et du 737 MAX de Boeing, qui a effectué le mois
dernier son premier vol commercial entre Shanghai et Pékin. L'avion
n'étant pas certifié hors de Chine, il ne sera toutefois pas exposé
au Bourget.
Si le C919 permet à la Chine de concrétiser son rêve de "voler dans
le ciel bleu", comme promis par le président Xi Jinping lors de la
création de Comac voilà 15 ans, la marche est encore longue avant
que le groupe chinois taille des croupières aux deux géants de
l'aéronautique.
"A l'époque de la création de Comac, en 2008, l'ambition de la
Chine était de défier le duopole Airbus/Boeing. L'objectif était de
passer de A (Airbus) plus B (Boeing) à A + B + C (Comac)", rappelle
Jean-François Dufour, spécialiste de l'industrie chinoise et
cofondateur du centre de ressources Sinopole.
Quinze ans plus tard, tout reste à faire pour Comac. "Il a fallu
cinq ans à Comac pour obtenir la certification du C919 en Chine.
Pour un avion de ce type, c'est énorme. Il faut en moyenne un an à
Airbus et Boeing pour obtenir la certification. La durée du
processus montre qu'il y avait de gros problèmes techniques à
résoudre", souligne Jean-François Dufour. Entre-temps, des milliers
d'A320neo et de 737 MAX se partagent le ciel.
Pékin déploie des ailes
Le monocouloir peut cependant compter sur la politique
interventionniste chinoise car l'Etat commande les avions au nom
des compagnies aériennes publiques. Et Pékin a mis le paquet en
commandant plus de 1.200 appareils. De là à ébranler le duopole
Airbus/Boeing en Chine à court et moyen terme ? Pas si sûr. "Il
faut que ces pré-commandes annoncées par Comac se transforment en
commandes fermes, ce qui risque de prendre du temps", observe
Jean-François Dufour.
A date, le groupe chinois ne comptabilise que cinq commandes
fermes. Comac devra "rassurer les compagnies chinoises sur sa
capacité de production. Personne ne s'attend à ce que le groupe
atteigne son objectif d'une production annuelle de 200 exemplaires
d'ici cinq ans", ajoute l'expert.
"Airbus anticipe une cadence d'environ 75 A320 par mois à l'horizon
2026, soit 860 par an. Nous tablons sur neuf livraisons de C919
cette année, 11 en 2024, 29 en 2025 et 45 en 2026. Le chemin avant
que Comac n'atteigne la cadence de livraison d'Airbus est encore
long", précise Yan Derocles, analyste financier chez Oddo-BHF.
Or les besoins des compagnies aériennes chinoises sont immédiats.
"La confirmation récente d'une commande de 292 Airbus par la Chine
montre que le pays a compris que Comac ne pourra suffire à répondre
à des besoins grandissants", souligne Jean-François Dufour.
Vis-à-vis de cette concurrence naissante, Airbus affiche sa
prudence sur le long terme mais ne semble pas s'inquiéter à court
terme. Pour preuve, le groupe européen a annoncé en avril qu'il
doublerait ses capacités de production en Chine et a signé un
accord pour construire une deuxième chaîne d'assemblage à Tianjin,
dans le nord-est du pays, pour l'A320.
Si Airbus et Boeing perdront inéluctablement des parts de marché en
Chine, en passe de devenir le premier marché au monde, il sera plus
difficile pour Comac de s'imposer à l'international. Certifié en
Chine, le C919 doit encore obtenir le feu vert des autorités
européennes et américaines, ce qui n'est pas pour demain.
Des perspectives internationales limitées
"On peut s'interroger sur la durée qu'il faudra à Comac pour être
certifié aux Etats-Unis et en Europe. Selon moi, cela prendra du
temps pour démontrer aux autorités que le C919 remplit les
conditions nécessaires à sa certification. D'autant que les
accidents rencontrés par le MAX de Boeing devraient sans doute
inciter les autorités de régulation à renforcer les règles. Dès
lors, Comac se voit priver pour longtemps d'une part significative
du marché de l'aviation civile", estime Guillaume Hue, partner chez
Archery Strategy Consulting.
Autre frein à l'offensive chinoise, "le manque de données
opérationnelles de l'avion (consommation de carburant, par exemple)
et surtout l'absence d'un réseau de maintenance à l'international,
soit partout où le C919 est conduit à se poser, ce qui ne sera pas
une mince affaire à mettre en place", souligne de son côté
Christophe Menard, analyste chez Deutsche Bank.
Dans ces conditions, ajoute l'expert, "Comac devra proposer des
prix significativement plus faibles que ceux de ses concurrents
pour espérer remporter un jour des commandes de grandes compagnies,
au-dessous des 40 millions et 50 millions de dollars affichés pour
un A320 ou un 737".
Le C919 pourrait constituer une option pour des pays
géopolitiquement proches de la Chine, comme le Vietnam et l'Inde, à
la recherche d'avions moins chers que ceux d'Airbus et Boeing,
"soit une part non négligeable du marché de demain", renchérit
Guillaume Hue.
La montée en puissance de Comac pourrait toutefois être freinée par
des tensions géopolitiques. "Alors qu'environ 80% de la valeur
ajoutée du C919 provient de fournisseurs occidentaux, les
Etats-Unis pourraient bloquer la fourniture de certaines pièces et
notamment le moteur Leap-1C, mis au point par l'américain General
Electric et le français Safran", signale Yan Derocles.
Un avion de retard
Dernier argument qui devrait freiner l'essor du C919 à
l'international : l'innovation. Les compagnies aériennes
internationales ont tendance à se concentrer sur les dernières
générations d'appareils. Airbus et Boeing ont prouvé qu'ils
savaient faire évoluer leurs appareils en développant des modèles
qui consomment moins de carburant et émettent moins de dioxyde de
carbone (CO2) par exemple.
"Quand Comac aura atteint sa pleine capacité de production, soit
dans une dizaine d'années, le C919 sera dépassé par les nouveaux
modèles que préparent actuellement ses deux concurrents alors que
la durée de vie d'une gamme d'appareils est très longue", souligne
Jean-François Dufour. Le Boeing 737 a plus de 60 ans et l'A320 est
né voilà plus de 40 ans.
Pour rivaliser, il faudrait que Comac investisse massivement pour
proposer une technologie disruptive, ce qui est extrêmement rare
dans l'aéronautique.
"Comac pourrait devenir un troisième acteur crédible, mais dans dix
ans. Ce que le secteur annonçait déjà... il y a dix ans", conclut
Christophe Menard.
-Pierre-Jean Lepagnot, Agefi-Dow Jones +33 (0)1 41 27 47 95;
pjlepagnot@agefi.fr ed: VLV
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June 16, 2023 08:42 ET (12:42 GMT)
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