La Russie place la Bourse des métaux de Londres face à un choix cornélien -Market Blog
12 Octobre 2022 - 12:36PM
Dow Jones News
Par Corentin Chappron
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Les ramifications financières de la guerre
en Ukraine ne cessent de s'étendre. Le London Metal Exchange (LME),
la principale Bourse sur laquelle sont cotés les métaux, est
désormais confronté à un choix cornélien : interdire les métaux
russes, quitte à bouleverser les marchés mondiaux, ou les laisser
traiter, au risque de subir une nouvelle vague de sanctions. Le LME
demande à ses membres de réagir avant le 28 octobre.
500 entrepôts dans 32 localisations
La question est d'importance. La Bourse a beau être un "marché de
dernier ressort", puisque la plupart des producteurs et des
consommateurs de matières premières signent des contrats sans
passer par les marchés à terme, le LME joue un rôle de découverte
et de fixation de prix. Une partie des contrats d'approvisionnement
sont ainsi indexés sur les prix du LME. La Bourse fluidifie aussi
les transactions, en permettant aux acteurs de limiter les risques
de prix en étant courts (pour les vendeurs de cargaison physique)
ou longs (pour les acheteurs) sur les contrats à terme. Enfin,
l'échange contribue à équilibrer les marchés, puisqu'il dispose
d'un réseau mondial de plus de 500 entrepôts, dans 32
localisations, capable d'absorber un excès de production lorsque la
demande est faible, ou de rééquilibrer un manque d'offre.
A ces trois mécanismes s'ajoute l'importance de la Russie. Le pays
représente 16,4% des exportations mondiales de nickel (première
place), 6,8% du cuivre (deuxième place), 10% de l'aluminium (2e
place) et 7,4% de l'acier mondial (2e place). L'Europe, Suisse
incluse, est elle-même une plateforme importante du négoce pour les
exports russes. Elle en représente la quasi-totalité pour le
nickel, les deux tiers pour le cuivre, la moitié pour l'aluminium
et le quart pour l'acier, selon des chiffres du fournisseur de
données OEC.
Surstockage
Ce sont précisément les interactions entre ces quatre points qui
inquiètent le LME. "Face à la menace de sanctions, les producteurs
russes envisagent de stocker leur production directement sur les
marchés organisés", résume Jean-François Lambert, fondateur de
Lambert Commodities. "Ce qui n'est, en temps normal, jamais une
option pour ces acteurs, qui préfèrent s'engager sur des contrats à
long terme avec leurs acheteurs. Le risque est celui d'un choc sur
les prix, lié à une suraccumulation de métal russe". De fait, les
contrats sur le LME sont adossés à une quantité physique de matière
première détenue dans l'un des entrepôts de l'échange.
Si les métaux russes constituent une large portion des stocks, les
contrats sur le LME refléteront le prix de ces métaux. Et s'il est
difficile ou impossible de les échanger, il se créera une prime
entre métal russe et métal non-russe : les prix du LME ne seront
pas ceux du reste des marchés. L'inquiétude de l'échange est
d'autant plus vive qu'il est déjà arrivé que la part de métal russe
dans les stocks soit considérable : jusqu'à plus de 80% des
inventaires pour le cuivre en 2021 (contre plus de 60% aujourd'hui)
; 74% pour l'aluminium en 2014 (moins de 20% aujourd'hui), ou 65%
pour le nickel en 2013 (contre à peine quelques points de
pourcentage fin septembre).
Certes, les métaux russes ne sont pas encore sanctionnés. Pourtant,
dans son document de consultation, le LME note, sans donner de
chiffres, qu'un nombre important d'entreprises choisissent de se
"sanctionner volontairement" en refusant d'engager des contrats
d'approvisionnement pour 2023 avec des producteurs russes. Les
entreprises Rio Tinto, Aurubis, Novelis ou Norsk Hydro Extrusion
ont ainsi annoncé ne plus se fournir auprès de groupes russes,
tandis que le producteur américain d'aluminium Alcoa a alerté le
LME sur le risque que représentaient ces exclusions volontaires. En
parallèle, la possibilité que de nouvelles sanctions soient prises
par les Etats crée de l'incertitude.
Déstabilisateur
Bien qu'il soit un acteur privé, le LME soumet donc trois
propositions à ses membres pour limiter la volatilité et assurer le
bon fonctionnement des marchés.
Une première option vise à ne rien faire tant qu'une décision n'est
pas prise ou que les métaux russes n'ont pas d'impact sur les
prix.
Une deuxième option consisterait à limiter la quantité de produits
russes pouvant être stockés dans les entrepôts.
Enfin, la dernière proposition envisagée consisterait à suspendre
l'émission de contrats sur le métal russe et son stockage en
entrepôt, empêchant de fait la vente de ces matières premières sur
l'échange. Ce qui n'a jamais été fait à cette échelle.
"A moins que la situation en Ukraine ne se dégrade, il est
difficile de concevoir que les métaux russes puissent être bannis
du LME", estime Jean-François Lambert. "Ceux-ci représentent un tel
poids en Europe que la décision serait très déstabilisatrice pour
les acheteurs. Et elle mènerait à une période de volatilité et
d'incertitude très importante sur les marchés". "Les entrepôts du
LME sont mondiaux, et l'Europe ne serait donc pas la seule région
affectée par une interdiction", ajoute Tal Lomnitzer, gérant
actions matières premières chez Janus Henderson. "Les prix
réagiraient fortement à court terme, d'autant que les inventaires
mondiaux sont bas : les marges pour absorber un choc sur l'offre
sont limitées. A terme cependant, les métaux russes trouveront des
débouchés et les prix diminueront".
La "LME Week", la semaine prochaine, qui rassemblera les acteurs
présents sur l'échange, devrait aider la Bourse des métaux à
choisir entre stabilité des marchés à court terme, et certitude sur
le devenir des métaux russes.
-Corentin Chappron, L'agefi. ed: ECH
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