Pour l'action Alstom, Bombardier sera un frein avant de se muer en locomotive -DJ Plus
18 Février 2020 - 3:58PM
Dow Jones News
Julien Marion,
Agefi-Dow Jones
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Le futur "Airbus du rail" pourrait prendre
un accent québécois. Alstom a annoncé lundi soir la signature avec
Bombardier d'un protocole d'accord pour racheter Bombardier
Transport, branche ferroviaire du groupe canadien. Le montant de
l'opération sera compris entre 5,8 milliards et 6,2 milliards
d'euros, en fonction des comptes de la société québécoise et de
mécanismes d'ajustement à la date de réalisation de
l'opération.
Le marché avait largement anticipé cette annonce et prend ses
bénéfices mardi. En début d'après-midi, l'action Alstom perd 4,9% à
47,85 euros après avoir gagné 3,5% la veille et 16% depuis le 1er
janvier. "C'est une belle opération mais elle comporte des
inconnues et le cours devrait s'asseoir entre 44 euros et 48 euros,
jusqu'à la finalisation de l'opération", prévient un analyste.
La pression de l'augmentation de capital
La prudence des actionnaires est justifiée. Pour financer
l'opération, Alstom prévoit d'émettre plus de 5 milliards d'euros
d'actions nouvelles. Environ 3,2 milliards d'euros seront souscrits
par la Caisse de dépôt et placement du Québec et Bombardier via des
augmentations de capital réservées.
Les 2 milliards d'euros restants seront directement levés sur le
marché, entre le second semestre 2020 et le premier semestre 2021.
Cette dernière augmentation de capital "exercera une pression sur
le titre", estime Frédéric Rozier, co-responsable de la gestion de
portefeuille chez Mirabaud France. JPMorgan Cazenove souligne, pour
sa part, que cette levée de fonds devrait limiter le potentiel de
la valeur à court terme, les investisseurs étant susceptibles
d'attendre cette opération pour se positionner sur le titre avec
une décote.
"Nous pensons que l'action Alstom évoluera désormais dans une
fourchette limitée en raison de l'augmentation de capital et de
l'incertitude due au long processus d'examen par les autorités de
la concurrence", écrivent les analystes de la banque américaine qui
ont abaissé leur conseil de "surpondérer" à "neutre" mardi.
L'épée de Damoclès Bruxelloise
L'opinion de la Commission européenne sur cette opération constitue
une interrogation majeure, un an après son veto décrié à la fusion
Alstom-Siemens Mobility. "Il n'est pas aisé de voir pourquoi la
Commission européenne accepterait cette fois une opération avec
Bombardier", juge Deutsche Bank. La branche ferroviaire du groupe
canadien dispose d'une importante présence en Europe, avec un siège
social à Berlin. D'après UBS, 63% des quelque 40.650 salariés de
Bombardier Transport sont présents sur le Vieux Continent.
Le PDG d'Alstom, Henri Poupart-Lafarge, a fait valoir lundi que
Bombardier était peu présent sur la signalisation ferroviaire,
marché qui avait constitué l'une des principales sources
d'inquiétude de la Commission l'an passé. Le dirigeant a également
estimé que le dialogue avec Bruxelles devrait être facilité par la
nature de l'opération: avec un rachat plutôt qu'une fusion, Alstom
s'évite une discussion tripartite, comme cela avait été le cas avec
Siemens. La concurrence accrue en Europe du mastodonte chinois
CRRC, qui a décidé en août de racheter la division locomotives de
l'allemand Vossloh, pourrait également jouer en faveur de la
transaction.
Redresser les marges de Bombardier
Une fois l'opération finalisée, Alstom devra par ailleurs remettre
d'aplomb la rentabilité de Bombardier Transport. La marge
d'exploitation ajustée de Bombardier est tombée à 0,8% l'an passé,
minée par des charges exceptionnelles de 350 millions d'euros. En
excluant ces éléments, la marge se serait inscrite à 5,1% soit 2
point de pourcentage de moins que celle d'Alstom sur l'exercice
2018-2019.
Contrairement au groupe français qui exécute sans accroc son carnet
d'ordres, Bombardier Transport a connu plusieurs incidents sur de
gros contrats de matériel roulant ayant pénalisé ses marges. "Le
premier risque est certainement constitué par les projets à
difficultés du groupe canadien", dont 5 ont "laminé" sa rentabilité
en 2019, indique Oddo BHF.
HenriPoupart-Lafarge a affirmé que son groupe aiderait Bombardier
Transport à restaurer ses marges pour les porter au niveau de
celles d'Alstom. "Les employés de Bombardier Transport ont beaucoup
de talent et d'expertise, il s'agit juste de mettre en place les
processus et mécanismes de contrôle adéquats", a assuré le PDG. Le
dirigeant a néanmoins prévenu que cet objectif "prendrait du
temps", citant l'exemple Alstom qui a progressivement amélioré ses
marges au cours "des cinq-six dernières années".
Le rapprochement entre Alstom et Bombardier Transport dispose de
nombreux atouts, parmi lesquels de fortes complémentarités
géographiques et un effet de taille désormais indispensable. Mais
après le bon parcours boursier du groupe français, une période
d'incertitude s'ouvre et justifie une certaine prudence des
actionnaires. Si la stratégie d'Alstom passe à la vitesse
supérieure avec cette opération, l'action de l'équipementier
ferroviaire risque, elle, de faire du surplace au cours des
prochains mois.
-Julien Marion, Agefi-Dow Jones; +33 (0)1 41 27 47 94;
jmarion@agefi.fr ed: ECH
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